Just Another Day in Paradise : un voyage entre l’Est et l’Ouest

julien breitfeld
39 min readApr 18, 2020
Incipit du film Alerte (“Outbreak”) de Wolfgang Petersen — 1995

[cet article a été écrit entre le 8 mars et le 8 novembre 2020]

Commençons par une analogie : un virus, c’est comme un être humain. C’est un organisme vivant qui est hébergé par un écosystème fermé, et dont il se nourrit. Comme un être humain, c’est un objet, par essence, ni bon, ni mauvais, ni neutre. Il ne sait que ce que son patrimoine génétique veut bien lui apprendre, et son seul objectif dans la vie, c’est la survie. Il n’est ni bon, ni mauvais : il fera ce à quoi son écosystème le contraint. Ni neutre, parce que son existence même modifie l’écosystème.

Parfois, l’écosystème envoie un peu d’adversité à son hôte, et celui-ci se défend avec ses petits bras musclés. L’objectif, ce n’est pas d’être vivant ou mort, c’est d’exister.

Il y a un an, quasiment jour pour jour, j’entreprenais un voyage asiatique à la faveur d’une rupture professionnelle : Chine, Corée, puis Japon. Depuis, j’écris mon voyage « Lost in translation » focalisé sur l’Empire du Milieu; j’ai déjà le plan, les chapitres, mais je n’avance pas. Je suis tétanisé devant Télé Chine.

Quand le Coronavirus commence à poper dans ma veille chinoise, je rallume Douyin. Et tous les soirs, depuis mi-janvier, je me plonge dans le plus grand film catastrophe depuis l’invention d’Hollywood et de la télé-réalité : COVID-19.

Quand j’étais en Chine, je passais le temps sur ce fil video, mélange de videogag, de youtubeurs nouvelle génération, d’images de chaines de production industrielles et de tuto pour tout : faire une passoire avec une bouteille d’eau, un ramasse miettes avec un sèche-cheveux et un masque. Et bien évidemment, des recettes de cuisine chinoise.

Screenshot de Douyin réalisés entre le 19 janvier et le 3 mars 2020

Lorsque je rallume mon videogag chinois, aux alentours du 20 janvier, l’ambiance est tout autre. Les gens portent des masques, il y a ces images d’ambulances filmées depuis des tours ; il y a des rues vides, des contrôles de température avant de rentrer dans certains immeubles ou commerces. Il y a des queues, des baches de plastique, et parfois même des marquages au sol délimitant la distance sociale de sécurité. Il y a aussi de rares images d’hôpitaux submergés. Et du désinfectant, partout.

Douyin est le seul grand rival du groupe Facebook (Facebook , Whatsapp, Instagram, Messenger) en Occident. Il est passé de 1.5 milliards de téléchargements en novembre 2019 à près de 2 milliards en mars 2020. Le chiffre d’affaire de sa maison mère, ByteDance, a atteind $17 milliards en 2019 (VS $7.4 en 2018), avec un bénéfice de $3 milliards. Non cotée, ByteDance a été estimée à $100 milliards en mai. Pour mémoire, facebook atteignait $83.5 milliards à la veille de son IPO…

Douyin est connu chez nous sous le nom de TikTok, le réseau qui cartonne auprès des jeunes occidentaux, parce qu’il reprend les codes de Youtube (le vlog) en intégrant des fonctionnalités simples de montage et de synchronisation. Plus une fonctionnalité intéressante : TikTok n’indique ni l’heure ni la date des posts, ce qui freine la course à la nouveauté.

À la différence des réseaux sociaux américains, TikTok n’est pas mondial. Douyin est chinois, TikTok fonctionne pour le reste du monde.

Bien sûr, je ne suis pas dupe. Tout ce qui circule sur les réseaux est contrôlé en Chine ; Douyin ne déroge pas à la règle, et on n’y verra, par exemple, aucun contenu critiquant le pouvoir ou son organisation. Mais ce n’est pas de l’arbitraire: c’est la loi chinoise.

Même si son créateur s’en défend dans une rare interview au Spiegel (“ In the past, we have never, ever received any request from the Chinese government or regulators to take down any content from the platform”), Douyin ne fait qu’appliquer la législation chinoise de contrôle de l’information, que nous appelons censure en occident. Dans mon fil, géré par un algorithme qui a codé ces éléments de la loi chinoise, je vois néanmoins la vie des Chinois telle qu’ils la vivent ; les masques donc, les files d’attente devant les commerces, la désinfection, la vie en quarantaine, et de la communication gouvernementale (site en chinois).

Personnes malades s’étant effondrées dans les rues — Queue devant les hopitaux — Morgues improvisées — diverses sources (non Douyin) depuis le 2 février au 13 mars

Mais on trouve vite d’autres images, qui montrent une autre partie du décor: les morts, les populations qui essaient de fuir Wuhan, les affrontements avec la police, des rixes dans les supermarchés, quand ce ne sont pas des “déportations” manu militari de malades interpellés chez eux et évacués en ambulance.

Timeline officielle de la propagation du virus covid19 — https://medium.com/@tomaspueyo/coronavirus-act-today-or-people-will-die-f4d3d9cd99ca

Si l’on commence à parler du virus en Occident (par exemple, le 7 janvier sur France Culture), c’est parce que l’OMS en a informé la communauté mondiale le 5, après que le CDC Chinois l’eut informée le 31 décembre.

Je ne m’étendrais pas sur la chronologie (Axios a compilé les grandes dates du virus ici, Thierry Crouzet en a fait une remarquable recension ici) ni sur les cartes (le New York Times a modélisé le déplacement du virus là).

Screenshot NYT interactive — mars 2020

Mais, alors que la ville de Wuhan, épicentre chinois du virus, a été déconfinée en avril dernier, et que la vie a repris un cours quasi normal en Chine, l’Occident, terrorisé, compte ses morts et se remémore la crise de 1929. Et la France, comme tous les pays européens, entame son deuxième confinement fin octobre.

La Chine inconnue

En Chine, on ne parle pas de choses qui fâchent ; on met le pays aux normes techniques occidentales, et on conquiert le monde. La population ne discute pas du régime ; le Parti garantit à celle-ci sécurité (physique, sanitaire, alimentaire) et prospérité, en échange de quoi la population accorde sa légitimité au Parti et le laisse gérer unilatéralement les affaires politiques.

La Chine c’est la France des 30 glorieuses, plus le smartphone : on se développe et on ferme sa gueule. Elle est gouvernée par un Président généralissime, un parti unique qui forme système, des medias aux ordres. Et au pas cadencé, le Pays suit le plan quinquenal : depuis que Den Xiaoping a ouvert la Chine au marché au début des années 80, posant les 4 pilliers du développement (economie, agriculture, développement scientifique et développement technologique, défense nationale), la progression du pays est fulgurante.

Évolution du GDP — source, Banque mondiale https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD?end=2018&locations=CN-IN-RU&start=1975

La Chine est inventive selon Alain Peyreffite. Elle est efficace, selon François Jullien. Elle est pragmatique, selon Deng Xiaoping :

“it doesn’t matter whether a cat is black or white, if it catches mice it is a good cat”.

Et, selon le sinologue Jacques Gernet, la théorie chinoise vise à expliquer non pas l’immuable, mais le changeant. C’est parée de cette agilité structurelle que la Chine s’est adaptée à l’économie de marché. Pendant ce temps, la Russie s’est difficilement remise de la Perestroika, et l’Inde, l’autre mégapuissance de la région, n’en finit pas de se noyer de ses clivages ethniques et religieux. Que des “pogroms” aient lieu a Dehli en 2020 laisse songeur sur la capacité de la plus grande démocratie du monde à se développer. Quant à sa gestion de la crise, elle révèle déjà l’état sanitaire de sa population …

Le pari de la Chine moderne réside dans deux piliers : la fin de la misère et la création d’infrastructures. Selon la Banque mondiale, la Chine a sorti 800 millions de personnes de la pauvreté depuis les politiques de Deng Xiaoping. Les mesures sont souvent radicales : les paysans pauvres sont déplacés de leurs villages où ils survivaient de leur lopin de terre vers des villes nouvelles, construites sur des urbanismes standardisés “néo-haussmaniens”; les travailleurs eux-mêmes, déplacés d’une région et d’une industrie à une autre, comme le narre en filigrane “Ash is purest white” de Jia Zhang-Ke.

Cette sortie de la pauvreté permet un accroissement du niveau de vie des individus, et donc de la société toute entière. L’éducation, l’adoption de normes sanitaires ne les mettent pas seulement à “niveau” des puissances occidentales, elles permettent à l’entreprise Chine de développer ses secteurs secondaires et tertiaires. Elles permettent d’inverser le brain drain.

Source : https://news.cgtn.com/news/2019-10-17/Graphics-Ending-China-s-poverty-by-2020-KREfWKGkIU/index.html — CGTN est l’émanation internationale des medias d’Etat chinois

Quant à l’infrastructure: pour l’intérieur, des grands travaux routiers, de chemin de fer, l’électrification, la construction de centrales nucléaires ou à charbon, l’assainissement (on citera notamment la construction de 10 millions de toilettes publiques pour un coût de $1 milliard); pour l’extérieur, la désormais fameuse stratégie OBOR.

La Chine est plus que jamais en phase d’éducation de ses masses. Elle doit parler aux riches habitants de Hong Kong et à sa population très éduquée, et très libérale, ainsi qu’aux paysans illettrés de ses provinces du Nord-Ouest. Elle doit parler à sa nouvelle classe moyenne, éprise de liberté et de shopping; elle doit faire évoluer ses règles tout en maintenant le carcan qui lui sert de pacte social. Elle doit parler au monde entier, tout en évitant le grand écart entre sa position interne, et ses actions externes.

Maquettes d’une gare standardisée au Guangzhou Urban Planning Exhibition Centre — Photos des gares de Shanghai et Hangzhou — Novembre 2019

En Chine, j’ai fait un bond en arrière; j’ai visité la France du périphérique, du TGV 001, des grands travaux d’urbanisme, de Marne la Vallée. Mais aussi celle des congés de masse, de Paris CDG, de la Grande Motte ou de Velizy II. Plus celle de la publicité, de la consommation, du 103SP — électrique — et de la bagnole; l’essor des classes moyennes. Mais ce développement aura pris 25 ans, lorsqu’il en aura mis le double dans les sociétés occidentales.

Nous avons appris en découvrant; la Chine nous a benchmarké et a repliqué les meilleurs modèles, avec des méthodes dites scalable: il n’y a qu’un modèle de gare TGV sur tout le territoire, comme il y a une architecture des villes modernes, un système de paiement dans le métro, ou une application pour tout, Wechat.

Il y a également cette propagande ininterrompue, entre communication et éducation. Ici encore, rien de nouveau par rapport à nos vieux systèmes : les mascottes qui racontent les principes de sécurité ou qui figurent les services publics ne sont pas si éloignés de Bison Futé ou de Méthanie. Les medias ne rapportent pas de problèmes sociaux, ni ethniques, il n’y a pas “d’événements”. La Chine ne gère pas des individus, mais une communauté; et vu le nombre, elle gère des stocks et des flux. Il n’y a qu’une différence, de taille, avec la France de “mon Général” : le smartphone.

Le fait est que l’Occident ne connait pas la Chine. La faute à l’Etat chinois, dont les médias relaient la communication “heureuse” sous la forme d’information. La faute aux médias occidentaux, qui prennent le biais de la désinformation et l’adaptent pour se justifier de leur méconnaissance.

Lorsque le marché aux animaux de Wuhan a été identifié comme l’épicentre de la maladie, les médias ont évoqué la corruption qui aurait permis l’existence de ce marché, a priori interdit. Pourtant, le marché des animaux sauvages à des fins de consommation représente plusieurs milliards de yuan et est totalement connu des autorités de Pekin. Il emploie plusieurs millions de personnes.

Sixth Tone — 2020

Lorsque la Chine a publié ses premiers chiffres consolidés, en mars, un peu plus de 3.200 morts [edit, révisé à 4.632 le 17 avril] sur le territoire, les observateurs étrangers ont crié à la manipulation : il n’était pas possible que la Chine n’ait que si peu de décès. C’est que son passé ne joue pas en sa faveur, et que les réponses standards ont la vie dure. Selon les services de renseignement américains, cités par le New York Times :

.. American intelligence agencies have concluded that the Chinese government itself does not know the extent of the virus and is as blind as the rest of the world.

“Le gouvernement chinois” ne savait pas. Ce qui veut dire que l’Etat central ne savait pas. “La” Chine ne savait pas, mais certains, “en” Chine, savaient. L’hypothèse la plus probable est que, craignant de s’exposer à Pékin, une bureaucratie, un chéfaillon, une chaîne de commandement défaillante auront maquillé les premiers chiffres et retardé l’alerte. Pour autant, passé un déni local, la Chine a mis en branle la plus extraordinaire mobilisation contre un risque sanitaire jamais vue. Pour cela, elle a pu compter sur des plans et systèmes prévus, développés à partir de la crise du SARS de 2002–2004. C’est que la Chine a appris du virus, entravant sa croissance à deux chiffres depuis 30 ans.

Impact of 2003 SARS outbreak on GDP — source https://www.reuters.com/article/us-china-health-global-markets-factbox-idUSKBN1ZK2HH

Et il semble bien que cet épisode lui a servi de maître étalon dans les réponses à apporter en cas de pandémie : le documentaire sur Jack Ma, “Crocodile in the Yangtsé”, montre d’ailleurs les processus déployé : désinfection, quarantaine, et controle des prises de températures par téléphone.

En juillet dernier, raconte le New York Times, un exercice dirigé par le Chinese Center for Disease Control and Prevention a mis en oeuvre un scénario de propagation de virus. 8000 participants déroulaient des exercices, parce qu’on ne sait jamais… Bref, une fois la stupeur et le mensonge passés, le pays a mis en place le plan.

https://multimedia.scmp.com/infographics/news/world/article/3077057/europe-coronavirus/index.html

C’est ainsi que le virus n’a pas frappé la Chine et son milliard et quasi demi d’habitants. Il a été contenu, isolé dans une région représentant la population française, et une ville de la taille de l’Ile de France; des mesures de prévention et de contrôle ont été mises en place, portant sur 930 millions de personnes.

Il faut lire tout le thread de Nicholas A. Christakis

La Chine a envoyé 25.000 médecins civils mais surtout militaires, 15.000 “nurses”, du matériel et des hommes depuis toutes les provinces. Et surtout, elle a pu compter sur une impressionnante infrastructure de soutien, logistique et technique. Et elle a publicisé ses nouveaux héros du quotidien, qui montaient au front, sauver la province du Hubei, la ville de Wuhan, et la Chine tout entière.

Au 19 avril, selon les chiffres de la Johns Hopkins University, il y avait 4.512 décès dans la province du Hubei, 22 à Henan, 8 à Pekin, 3 à Tianjin, une vingtaine ventilée sur le territoire. Un peu comme si ce virus avait frappé l’Europe, faisant 5.000 morts en Italie, et en occasionnant 8 à Paris . Oh, wait.

Beaucoup de gens ont qualifié le virus de game changer, évoqué la fameuse disruption. Beaucoup cherchent à dessiner un monde d’après, certains l’invoquent, d’autres voient dans cette crise une opportunité, la leur, de changer le monde, selon leur vision. Covid-19 est cela, en ce sens qu’il a agit comme un révélateur de nos faiblesses, qu’il redessine la planète geoéconomique et nous interroge sur notre espèce. Nous vivons une crise systémique.

La fin d’un monde

Quoi qu’on en dise, le coronavirus est une grippe ; une grippe certes plus contagieuse que celles que l’on connait, mais une grippe. La seule différence avec les grippes que l’on connait est que, pour le moment, il n’y a pas de traitement efficace.

Une crise systémique

Cette maladie attaque des gens, plutôt faibles et âgés, mais elle attaque d’abord notre organisation ; le système est perturbé dans son fonctionnement. Techniquement, humainement, nous savons gérer une épidémie d’Influenza A ou B. Tous les ans, nous gérons une épidémie de ce type, sans que le monde ne s’arrête. Voici le bilan hebdomadaire de Santé Publique France, du 17/04/19, qui récapitule les chiffres de la grippe saisonnière 2018–2019 :

►1,8 millions de consultations pour syndrome grippal durant l’épidémie
► 65% de virus A(H3N2) et 34% de virus A(H1N1) détectés en médecine ambulatoire durant la période de surveillance (semaines 40/2018 à 15/2019)
► Environ 65 600 passages aux urgences pour grippe dont près de 11 000 hospitalisations (16%) durant l’épidémie
► 1 877 cas graves admis en réanimation signalés dont 289 décès durant la période de surveillance (début de la surveillance semaine 45)
► 13 100 décès toutes causes et tous âges confondus en excès, dont 9 900 attribuables à la grippe durant la période de surveillance

La grippe saisonnière a occasionné 10.000 morts en 2018. Des malades et des morts que l’on gérer, pour cause de saisonnalité justement. La grippe est un terrain connu, on en connait le taux de mortalité, le taux d’occupation des lits en urgence ou en réanimation qui peuvent en résulter. Le système est dimensionné pour accueillir des événements récurrents. On a un modèle qui se reproduit sensiblement chaque année (14.400 sur la période 2016–2017, 13.000 sur 2017–2018). Mais en cas de grande urgence, comme en médecine de guerre (témoignage d’un médecin de Bergame, en italien), que fait-on ?

Répartition des malades/décès chinois selon âges, sexe et maladies préexistantes — Rapport du CDC chinois au 11 février 2020 : http://weekly.chinacdc.cn/en/article/id/e53946e2-c6c4-41e9-9a9b-fea8db1a8f51
Représentation des malades/décès anglais selon âges, sexe et maladies préexistantes — Etude anglaise au 25 avril, non peer reviewed : https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.05.06.20092999v1

Ainsi, même si l’on peut reprocher à la Chine ses mensonges, lorsqu’elle a pris conscience de la gravité de la situation, la réponse fut épique. A partir du 24 janvier, la Chine indique à sa population et au reste du monde qu’elle prend cette épidémie très au sérieux. La construction d’un hôpital puis d’un deuxième dans Wuhan donnent lieu à un streaming live par China Telecom : jusqu’à 7.000 ouvriers vont s’activer devant plusieurs dizaines de millions de spectateurs chinois pour livrer plus de 2.000 lits dans Wuhan. La Chine vous parle.

Mais il s’est construit des dizaines, voire des centaines d’hôpitaux, centres hospitaliers ou de dépistage dans tous le pays, de façon plus confidentielle ou pour des hébergements plus petits : 1.000 lits ont ainsi été construits dans la province de Shaanxi, 1.000 à Shenzhen, 300 à Xuzhou et à Jiangsu, tous dans des laps de temps visant à accueillir les malades du virus. Un processus de ségrégation des personnes atteintes a été mis en place, avec la reconversion de gymnases ou centre de congrès en sites d’observation et de tri. Puis vinrent les réquisitions d’hôtel, pour finir d’isoler les mis en quarantaine.

Le fait est que la réponse de la Chine fut démesurée, à l’échelle de l’inconnu que le pays rencontrait. Mais, alors que celui-ci s’est construit sur le benchmark de l’Occident, pratiquement personne ici n’a pris la menace au sérieux.

Pour autant, ce genre de pandémie est bien étudiée a priori, et les réponses à y apporter également.

Un document de l’OMS intitulé “Prevent, Control, Prepare”, paru en mars 2019, suite d’une longue série de rapports, indiquait :

A severe pandemic can result in millions of deaths globally, with widespread social and economic effects, including a loss of national economic productivity and severe economic burdens on affected citizens and communities. Recent estimates place the economic burden — economic losses and valuation of lives lost — of a moderately severe to severe pandemic at about US$ 500 billion, or 0.6% of global income. Many countries have underinvested in public health systems for early detection, response and containment of outbreaks that affect their countries, and are not prepared for an outbreak on the scale of a moderate or severe pandemic.

The cost of financing pandemic preparedness has been estimated at US$ 4.5 billion per year, or less than US$ 1 per person per year, which is less than 1% of the cost estimates for responding to a moderately severe to severe pandemic (10). Investment in national and global pandemic preparedness provides significant economic benefits to health systems when emergencies occur; it also contributes to building core capacities for influenza and other emerging pathogens in support of IHR (International Health Regulations)

Qui était préparé en Europe à part l’Allemagne (“by the time Germany recorded its first case of Covid-19 in February, laboratories across the country had built up a stock of test kits”) ? Qui était préparé dans le monde, à part les pays asiatiques qui traitent en permanence de grippe aviaire ou de peste porcine ?

Aussi, lorsque le président de l’OMS indique, le 21 février, que l’institution veut éviter que le virus n’atteigne des pays avec des systèmes de santé en piteux état, parle-t-il du Bengladesh, ou des Etats Unis ?

Ce qui est intéressant avec ce virus, c’est que c’est une vulgaire grippe. Elle touche tout le monde, sauf les très jeunes ; elle tue surtout les baby boomers. C’est un virus qui nous est proche, parce qu’il est agnostique dans ses cibles : ce n’est pas le virus des gays, ni celui des africains ; c’est celui de la classe moyenne occidentale, un coronavirus vulgarus. Oh, bien sûr, le virus est plus dangereux que la grippe dite influenza A ou B. Parce que sa mortalité est plus grande (aux alentours de 1% en l’état de la recherche, versus 0.1 pour la grippe saisonnière) ; et sa mortalité est plus grande parce que nous n’avons pas de remède. Mais c’est une grippe, touchant les 1%, qui vient de mettre à l’arrêt l’économie mondiale.

Notre monde est un immense mensonge

La réponse chinoise a d’abord été de nier; mais ce n’était pas la réponse de la Chine, seulement d’une province. Ensuite, Pékin a adopté un plan double : limiter la propagation du virus et de la panique. Comme le relate Passe-Muraille :

[Pékin a envoyé] près de 450 journalistes sur place pour mettre en avant la pensée de Xi Jinping d’une part, mais aussi des reportages ‘poignants’ sur les médecins, les personnels soignants, la police, etc. L’idée est de fédérer l’opinion autour de ces modèles.

Douyin m’a montré des cérémonies de centaines de “nurses” partant au front; des “nurses” militaires, à qui on aura fait la coupe au bol. Les médias chinois auront complaisamment relayé les renforts arrivant en bus, toutes sirènes hurlantes, encadrées par des haies de motards. Mais, le fait est, l’approche systémique n’était pas de la poudre aux yeux, et elle a fonctionné.

https://www.wsj.com/articles/how-china-can-build-a-coronavirus-hospital-in-10-days-11580397751

En Occident, nous avons suivi majoritairement le modèle du deuil de Kubler-Ross : nous avons commencé par le déni. Nous ne risquons rien, nous sommes l’Occident triomphant. N’avons-nous façonné le monde depuis le 15ème siècle ?

6 mois plus tard, en Occident, hubris est devenu le mot à la mode…

Le storytelling

Lorsque l’Occident prend en compte le virus, il se focalise sur le sensationnalisme : incurie d’un pays mal gouverné, en proie à la corruption; prise de passion pour les lanceurs d’alerte, autant de symboles héroïques et romantiques de résistance au régime dictatorial. Les chiffres qu’elle communiqua au monde étaient forcément des faux; mensonges de la propagande.

CGTN est l’émanation internationale de la CCTV, télévision chinoise nationale

Pourtant, la Chine a besoin d’être crue. Parce qu’elle est une terre d’investissements étrangers, et parce que le Made In China est désormais une marque, synonyme de qualité. Et dans les échanges économiques tout comme sociaux, le trust est fondamental. C’est pour cela qu’on a inventé des normes.

Il faut se souvenir de l’analyse des services de renseignements américains, et mettre en parallèle les chiffes chinois, que l’on indiquait sous-estimés par pure propagande, et ceux de l’Occident, qui est censé gérer et contrôler, du haut de ses siècles de développement. Pourtant, la France, l’Italie ou l’Espagne ont toutes été débordées, dans leur organisation, dans le recueil et la transmission de l’information. Quant à la Grande Bretagne, le très respectable Financial Times estimait le 21 avril le compte des morts à plus du double que les chiffres officiels.

https://www.ft.com/content/67e6a4ee-3d05-43bc-ba03-e239799fa6ab

Pour résumer, nous sommes dépassés par le 1er virus venu, et nous ne savons même pas compter nos morts.

Les USA paient également leur sous-investissement dans leur système de santé. Tout comme l’Europe, les USA vivent sur la rente de leur infrastructure, et ils le savent. Pourtant, Hollywood nous sert de façon quotidienne la qualité de l’infrastructure médicale : Dr House, Code Black, Greys Anatomy, Urgence, Scrubs, tous nous racontent la médecine américaine qui sauve des vies. Mais voilà, la réalité est tout autre : le pays est plein de déserts médicaux et comme tous les autres, sous-équipé pour répondre à une crise épidémique soudaine.

Il y a pire : on feint de s’apercevoir de la qualité de vie des américains. Un rapport d’un groupe bi-partisan de vétérans de guerre US notait en 2018 que :

While nearly one-third of Americans between the ages of 17 and 24 are too overweight to qualify for military service, the problem starts much earlier. Children as young as two are experiencing rising obesity rates; among this age group, the obesity rate is 14 percent. 18 percent of children ages 6 to 11 have obesity. Teens between the ages of 16 and 19 had the highest rates of overweight, at 42 percent.

14% des enfants sont déjà en surpoids à 2 ans….. quant aux diabétiques, ils représentent 11% de la population, 5 points de plus qu’en Europe.

https://diabetesatlas.org/en/sections/demographic-and-geographic-outline.html

Nous ne verrons jamais ces américains dans Friends, ni dans Scrubs, ni dans aucun film ou série produite à Los Angeles. L’Amerique du livre d’images est bien portante, et il ne s’agit pas de propagande officielle. C’est juste une histoire, celle de l’American Way of Life.

Nous vivons tous dans un mensonge. Nous, occidentaux, nous vivons par médias interposés. Nous vivons donc le quotidien des médecins dans des sitcoms, celui des policiers dans des séries, des instituteurs dans les films; nous nous racontons de belles histoires. Mais ici l’accessoiriste a rempli une étagère de masques, là les écoles ont des toilettes propres. Les policiers habitent toujours dans des 80m² à Paris intra-muros. Nous célébrons nos sociétés dans des représentations qui sont mensongères, et nous nous étonnons ensuite de la vie réelle, qui défie l’entendement. The Joker président des Etats-Unis d’Amérique…

https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_highest-grossing_films_in_China

Dans les cinq premiers films au box office chinois sur sa durée, on trouve un seul film étranger, Avengers Endgame. Restent NeZha, anime adapté de la culture chinoise, qui défie Disney; Wolf Warrior 2, où un héros chinois libère un pays africain de vilains plutôt anglo-saxons; Operation Red Sea, où l’armée chinoise part en Afrique au secours de ses ressortissants (“inspiré d’une histoire vraie”) ; the Wandering Earth, où la Chine sauve la planète en mettant des gros réacteurs sur son territoire pour la faire naviguer dans l’espace. C’est “grobill”, c’est pop corn, c’est désormais la réponse (ou l’adaptation) du berger à Top Gun, John Rambo ou Independance Day. La Chine sait déployer le soft power qui a construit le roman de l’American Way of Life.

“This mission is a message to all terrorists. You will never harm a Chinese citizen”

Pékin essaie IRL, comme dans les films, d’apparaître comme le sauveur du monde, minimisant ici, mentant là, évitant dans tous les cas de porter seul le blâme pour cette pandémie. Mais on retrouvera également ce soft power dans la communication d’un chinois moyen, patriote, fier de son pays et de son apport au monde.

Screenshot de Douyin à partir de 13 mars. Li Wenliang (3ème en bas), l’ophtalmologiste qui avait alerté fin décembre sur une maladie de type SRARS, a été réhabilité. Héros pour “les” internautes, il sera vraisemblablement statufié pour sa lutte contre la bureaucratie et pour la transparence médicale.

Et parce que la Chine est une entreprise, ses filiales iront également aider le monde, des Occidentaux aux pays d’Afrique.

La fin de l’Histoire — occidentale

L’Occident règne sur le monde depuis le 15ème siècle et les découvertes des Amériques par Collomb et des Indes par Vasco de Gama. Depuis, l’Europe occidentale, puis les Etats-Unis et la Russie, se sont développées en puissances mondiales et ont exploité ces nouveaux mondes qu’ils avaient colonisés, physiquement pour les uns, financièrement pour les autres, voire drogués, comme pendant la guerre de l’opium. Après 1945, une Pax Americana s’est imposée, confortée par la fin de la guerre froide et le démantèlement de l’Empire Soviétique en 1989. Les Etats-Unis se sont imposés au monde, ainsi que l’instrument de ses échanges, l’économie dite capitaliste.

Répartition des revenus à +$2500 mensuel (chiffres de 2006). Les chiffres de 2018 n’ont pas changé la représentation : https://www.worlddata.info/average-income.php

Le monde est depuis dirigé de facto par les Etats-Unis, imposant ses règles, contournant celles du système qui lui conviennent le moins, via l’extra-territorialité de son droit (Guantanamo, soustraction au TPI de la Haye, sanctions financières diverses et variées), sa monnaie (le pétro-dollar), ses services secret (coup d’Etat en Iran, au Guatemala, au Chili) et de son armée, qui libère les peuples pour le plus grand bien de ses industriels. Et la machine à rêve de l’industrie culturelle fait le reste.

L’Occident s’est fait à l’Empire, ce qui lui évite de se poser trop de questions et de se salir les mains. Mais ce monde vieillit. Les institutions globales de la planète datent de WWII: Bretton Woods (FMI, Banque Mondiale), ONU, OMS, OMPI. Tous les établissements normatifs qui ont permis de créer le monde d’aujourd’hui, et qui gèrent, au présent, ses systèmes.

Pourtant, nous sommes définitivement passés dans un monde post WWII ; nos aieux, cette mémoire, disparaissent, encore plus rapidement avec le virus ; ses institutions ne sont plus que l’ombre d’elles-même ; l’OMC compte les points dans le match USA/Chine, l’ONU est paralysée en son Conseil de Sécurité fantoche ; la Banque mondiale ne l’est plus puisque concurrencée par la Banque Européenne de Développement et la Banque Asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB).

Pire, ce qui a structuré la planète, l’énergie carbonée, détenue par une oligarchie, doit disparaître : il en va de la survie de l’humanité. Et voilà que l’OPEC, un cartel dont l’existence est prohibée par le système lui-même, aux termes du « libre échange », implose début mars, miné par la crise.

Enfin, on assiste à une mise à mort du multilatéralisme par l’Empire : les USA du bouffon orange se retirent des accords de Paris, du traité sur les forces nucléaires intermédiaires ou rouvrent unilatéralement le dossier de l’inaliénabilité de l’espace. Mais le roi est nu…

Parenthèse : Le jeudi 5 mars débute, à Vienne, une réunion de l’OPEC+en pleine crise du coronavirus. Le baril Opec est à 51$, il était à 70$ le 6 janvier. Le vendredi 5 mars, MBS et Poutine se brouillent. Le samedi 7 mars, MBS fait arrêter 3 membres de la famille royale. MBS ouvre ensuite les vannes et le lundi 9 mars, le baril dévisse à 34$. Les russes suivent et c’est le début de l’offensive contre les Etats Unis. Le même jour, c’est le premier crash boursier de 2020; les compagnies pétrolières américaines spécialisées dans le fracking, s’effondrent.

Elles étaient déjà mal en point en 2019. Vladimir va tenir la distance jusqu’au 10 avril et un accord avec MBS. Mais le mal est fait : un pan entier de l’industrie américaine se retrouve au bord du chapter 11, ce qui était l’objectif : “use lower prices to force U.S. shale producers from the market and reverse some of the losses in market share they’d seen in recent years.”

Au 24 avril 2020, le baril Opec est à 12$, par la combinaison d’une offre surabondante, d’une demande inexistance et d’une guerre géo-économique masquée par une crise sanitaire. C’est 80$ de moins que le “break even” saoudien.

Les croyants contre les sachants

Mon retour en France fut difficile, parce que la ré-acclimatation l’a été. Deux mois de pays réglés à la baguette, qu’ils soient « autoritaires » ou « démocratiques », « communiste » ou « libéraux », ça laisse des traces quand on arrive au pays d’Asterix, et dans sa capitale. Paris est sale, par exemple. Mais Paris n’est pas sale per se, ce sont ses habitants qui le sont. La France est bordélique, mais là aussi, ce sont ses habitants.

On s’y fait, c’est ça le génie français, même si notre propension à ne pas être d’accord se règle, j’ai l’impression, de moins en moins par un banquet sous les étoiles. Notre culture de l’affrontement est devenue un handicap. En tout cas, 2018 ne fut pas 1998.

De retour d’Asie, on se prend à respecter la queue, ou les passages piéton, dont et parce que les mécanismes sont mieux agencés que les nôtres.

A mon grand désespoir, j’ai retrouvé mes luddites, les techno tout d’abord, mais également les politiques, ceux qui pensent que nous sommes plus intelligents que les autres 7 milliards et que seules nos idées et inventions ont valeur d’autorité pour le monde. Et j’ai retrouvé mes bas de plafond, les fâcheux.

les fâcheux

Grâce aux réseaux sociaux, c’est désormais tous les jours le fameux dîner de famille d’Orelsan. Il faut le dire tout net : la bulle de filtre est une escroquerie ; la polarisation du monde vient que, tout d’un coup, des communautés voulues ne peuvent plus se cacher des communautés subies. Elles font désormais face à la réalité. Si les Copains sont d’avant, c’est parce qu’on a fait le choix de les laisser derrière nous. Par contre, ils continuent d’exister et de se répandre ; pareil pour l’oncle facho, qui a trouvé au bistrot une nouvelle audience. Le pire, c’est qu’il a désormais des copains de comptoir partout dans le monde. Les communautés ne sont plus nationales, et des idées comme celles de QAnon se répandent sur toute la planète (comme ici aux Pays Bas).

J’étais déjà peiné que mon pays soit pris en otage, tous les samedis, par une foule de fâcheux qui ne savaient même pas ce qu’ils revendiquaient ; que des intellectuels prennent fait et cause pour ces derniers, résultat de leur incurie à éduquer les foules. S’il n’y avait qu’eux : les éditorialistes qui déversent leur bétise à longueur de journée dans des robinets à merde, sans responsabilité aucune de leurs propos ; les politiques qui n’ont jamais le courage de dire « je ne sais pas » à des questions simples ou complexes. Tout cela matiné de fakeNews, produites à dessein ou dans un but de pur trolling… Bref, un système d’information au bord du gouffre.

J’étais déjà peiné de savoir que mes gentils barbares avaient maintenant de nouveaux gourous, philosophes, naturopathes, sociologues ou astrophysicien, pour les éclairer sur les enjeux du monde. Que les sciences humaines avaient pris le pas sur celle des ingénieurs. Que les antivax, anti-ondes, anti-OGM, anti-nucléaire justifiaient leurs délires par cette illusion de la mère Nature, aimante ou punissante, dans un déni du monde lui-même puisque seulement réduit à leur petit territoire hexagonal. Que la Magie était de retour, et que la Science était devenu le coté obscur de la Force.

Revenu d’Asie, je suis arrivé dans un vrai monde de barbares, où j’ai eu l’impression que ma « civilisation » avait régressé. Je revenais dans une société peureuse et paranoïaque, où la moindre action est le fait de complotistes ayant des agendas secrets. Je revenais dans une France malade de fatigue démocratique. Je revenais chez des enfants gatés qui caissaient leurs jouets.

Un M. qui glose sur internet au sujet de la technologie, et qui dispose d’une petite audience, a écrit il y a peu, à propos de la stratégie numérique de l’UE :

« cette prémisse première, confiante et prophétique, déterre d’entrée de jeu ce qui semblait pourtant avoir rempli les poubelles de l’histoire, à savoir cette indéfectible foi dans la puissance de l’incontournable progrès de la technique »

Ce M. rejoint un astrophysicien qui assène que la 5G tue, cette actrice qui tombe dans les délires complotistes les plus dégénérés, cette députée européenne des verts qui s’interroge sur l’efficacité des vaccins ou encore ce philosophe qui appelle à “arrêter le progrès”, ce prix Nobel de médecine perdant toutes ses facultés, quand ce ne sont pas les juges, qui, s’appuyant sur le droit, reconnaissent des maladies ou le service public qui chante les louanges de l’anthroposophie. Toutes ces autorités fabriquent les 13% de français sondés qui considèrent que “la science apporte à l’homme plus de mal que de bien”, voire les 47% qui considèrent qu’elle apporte autant de mal que de bien…

Vague 11b du baromètre de la confiance politique du Cevipof — avril 2020 : https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/les-resultats-par-vague

Et que dire des 25% des français sondés qui refuseraient un vaccin, chiffre qui monte à 39% chez les 25–35 ans ? Je regarde à l’Est, et je me demande dans quel pays sous-développé je suis revenu. A l’Est, la superproduction est lancée : Covid19 entame sa tournée mondiale, et le moins qu’on puisse dire, c’est que la production assure. Il n’y a toujours pas signe de Dustin Hoffman, mais nous sommes toujours dans une réalité scriptée; après Outbreak, me voici donc dans The Society, où les gens âgés ont disparu.

To The East

Concentration de NO2 — images Nasa

Des écologistes à courte vue célèbrent la fin de la pollution au-dessus de la province de Hubei. Des incapables demandent des réparations (qui pourraient être de guerre) à la Chine pour la crise économique mondiale engendrée par Covid19. Des défenseurs de la liberté individuelle se plaignent que le laxisme de la Chine, dans son contrôle de population, ait permis la propagation du virus. Des politiques de premier plan deviennent des curateurs de fake news, pour des raisons bassement électoralistes…

Pourtant, la Chine travaille pour le monde. Nous y avons externalisé nos coûts de production, trop chers parce qu’ils prenaient en compte la santé humaine, notre santé humaine. En prenant soin de nous (couverture sociale, maladie, droits au chômage, à la retraite) nous nous sommes rendus trop chers pour nous-mêmes.

Nous avons alors externalisé l’humain, l’usine, et les risque liés (la pollution, les coûts sociaux, les déchets..). Si la Chine pollue le monde, elle le fait à notre demande, et pour notre bénéfice. Et lorsque le travail en Chine devient trop cher, à cause des fameux minima sociaux, les industries basculent dans des pays avec des coûts de main d’oeuvre moindres.

Nous sommes des hypocrites qui nous sommes déchargés sur les plus faibles pour faire le sale boulot, et nous voilà rattrapés puis dépassés par eux.

Production textile mondiale — 2018 — How much : https://howmuch.net/articles/world-map-clothing-exports

Par un drôle de revers de fortune, c’est donc le sous-traitant qui nous explique comment bâtir un hôpital de campagne civil et pérenne en 21 jours, plusieurs milliers de lits, et en pression négative s’il vous plait.

Par un drôle de revers de fortune, c’est le sous-traitant qui sort 2/3 de sa population de la pauvreté qui vient rouvrir chez nous la question de la protection des faibles et le sens de la communauté.

Par un drôle revers de fortune, voilà que l’Empire accuse son vassal de n’avoir par tenu la défense du chateau et qui s’aperçoit que son vassal a les moyens de contester son hégémonie.

La Chine est accusée d’avoir répondu trop tard. La Chine, 1.4 milliard d’habitants, est accusée de n’avoir pu contenir une épidémie qui, rétrospectivement, était tellement simple à contenir: il suffisait de faire bénéficier la Chine de toute la technologie de soin occidentale, qui, rétrospectivement, n’existe pas; au 8 novembre 2020, les Etats-Unis, 1ere puissance mondiale, dénombrent 237.000 morts pour 328 millions d’habitants, et 10 millions de cas. Pour autant, les maux dont on accuse la Chine sont les nôtres : incompétence, techno-structure, aveuglement, mensonges. On accuse la Chine de nos propres errements, et on apprend un nouveau mot, l’hubris.

Technostructure de la prise en charge de la santé en France — 2020

La Chine a eu de la chance, dans la mesure où le virus s’est trouvé dans une population et un territoire particulier sans se propager à l’ensemble de son territoire. Même en omettant quelques semaines et quelques centaines ou milliers de morts, l’épidémie a été contenue à Wuhan. La Chine a eu de la chance que le virus n’atteigne pas des voyageurs qui quittaient le Hubei pour la Golden Week, mais sa réponse a été à la hauteur du défi qui l’attendait.

L’OMS a effectué un voyage d’étude en Chine du 16 au 24 février, emmenant une équipe internationale composée de japonais, allemand, suisse, nigérien, et russe (le français devait être au ski). Leur rapport, publié le 26, se dit stupéfait du niveau d’équipement des hôpitaux qu’ils ont visité, et de l’agilité de la Chine dans sa réponse.

“China has rolled out perhaps the most ambitious, agile and aggressive disease containment effort in history.”

Pourtant, pendant tout le mois de janvier, la crise a été niée par les autorités. Et le 27 janvier, un journaliste à Wuhan écrivait :

“11 million of us are waiting — not for dramatic action, but for openness and a real plan of action.”

Entre ces dates, il s’est passé le plan, un plan que seul un état centralisé, autoritaire peut mettre en place; on remplace les chefs du PC local (ville de Wuhan et province du Hubei) le 13 février; on lance des applications de type StopCovid pour informer (et controler) la population dès le mois de février; on met en place une infrastructure de ravitaillement pour les personnes en quarantaine; on teste, au thermomètre frontal, au scanner corporel, avec les fameux cotons tiges dans des dispositifs ad hoc. Et on construit, équipe, forme : on met en place le plan.

Centre de Congrès de Wuhan transformé en sas pour les malades — source : https://www.theatlantic.com/photo/2020/02/photos-empty-streets-china-amid-coronavirus-outbreak/606064/

Fondation

Le XXème siècle aura été celui de l’informatique, partant, celui de la modélisation d’un coté, et de la simulation de l’autre. Les quantités astronomiques de données récoltées alliées à la capacité de calcul ont créé les modèles de développement pronés par le FMI ou la Banque Mondiale, modèles dont on s’est aperçus qu’ils étaient approximatifs, comme tous les modèles théoriques.

Les prévisions de l’OMS, citées supra, ont également été globalement fausses : ce n’est pas de 0.6% que l’économie globale s’est contractée, mais de 3% selon le FMI (chiffre qui devrait augmenter puisque basé sur une hypothèse de fin de pandémie). Ces erreurs, nous les devons au fait que le futur n’est pas une science exacte, mais la rencontre des idéaux humains et des calculs de la machine, basés sur une rationalité supposée des humains. La marge d’erreur, c’est le risque, risque que le monde occidental a lissé au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans le confort. Ainsi facile est-il devenu le traître-mot de nos initiatives, le médiateur de notre rapport aux choses, voire le souverain de nos idéaux…

Il n’en reste pas moins que nous avons mis à l’arrêt l’économie mondiale face au risque de la mort. Nous aurions pu décréter, comme la Grande Bretagne au début de la crise, de laisser faire, c’est-à-dire de faire s’installer une immunité collective et risquer la mort d’un demi-millions de Britanniques ; nous aurions pu demander, comme ce politique texan, à ce que la vie des seniors ne vale pas plus que l’économie américaine; ou comme André Compte Sponville, de ne pas interférer dans la mort des gens.

La grippe dite de Hong Kong, à l’hiver 1969, tuera en France quelques 30.000 personnes, dont 25.000 sur le seul mois de décembre. Elle ne donnera pas lieu à la fermeture de l’économie, ni à une hystérie de la part des populations, des médias ou des pouvoirs publics. Les populations faibles meurent, c’est de l’ordre des choses. Mais, en 50 ans, la mort même est devenue intolérable. En 50 ans, l’espérance de vie a gagné, en France, 15 ans; le pays a gagné 15 millions de personnes, les plus de 65 ans ont doublé, passant de 6,5 millions à 13 selon l’INSEE; le nombre de centenaires est passé de 1.000 à 20.000 sur la même période.

L’hystérie qui s’est emparée du monde a révélé une psychose de la mort. Soixante dix ans sans conflits, dans une croissance de vie et de confort inégalée depuis la nuit des temps, ont exacerbé la peur de mourir. Certains ont comparé la lutte contre le virus à une guerre, mais ont eu tort sur la nature du combat : ce n’est pas une guerre contre un ennemi, fut-il invisible, c’est un combat pour la survie. Quant à l’ennemi, c’est l’Autre, n’importe quel autre, puisque le porteur du virus se fait vecteur de dissémination : le porteur est le virus.

Une crise de l’espèce

De fait, l’espèce — nantie — réapprend la mort, à l’heure où les occidentaux rèvent d’immortalité. Comme pour la production, exfiltrée dans les pays à bas coût, elle avait exilé ses faibles dans des “structures spécialisées”, lesquelles nous ont rappelé qu’elles étaient bien des mouroirs.

Mais nous vivons une crise de l’espèce, en tant que communauté humaine. La perte de foi dans les institutions provient d’une suspicion généralisée : l’individualisme a retourné les gens les uns contre les autres, lesquels ne croient plus qu’en eux-mêmes; le complotisme qui s’étend sur la planète se nourrit des défiances envers des pouvoirs, sur un lit d’obscurantisme avéré. Des communautés d’intérêt, personnel, se montent contre la Communauté, qu’elle soit nationale, territoriale, ou humaine.

Les mesures sanitaires ont été prises pour éviter la contagion, qu’elle soit à l’intérieur des frontières ou entre les Etats. Puisque l’agent pathogène est réduit à l’individu, il est fait appel à la responsabilité de chacun pour éviter de diffuser la maladie, voire d’être un meurtrier par destination; la distance sociale, le port du masque, les mesures prophylactiques comme le lavage de mains ont donné à voir le soucis des autres. Mais l’individualisme, et plus encore l’objectivisme, en Europe ou aux Etats-Unis ont mis en exergue en retour le sens de la communauté des pays confucéens (Chine, mais aussi Japon, Vietnam, Corée du Sud), pays qui ont été les moins touchés par le virus. Il faut dire que la polis d’Aristote, qui fonde la science politique occidentale, vise à décrire la vie de la cité, là où Confucius fonde son enseignement sur la communauté humaine.

Mais les mesures sanitaires l’ont également été pour éviter de faire sombrer le système, hospitalier d’abord, économique ensuite. Les Etats occidentaux ont fait face à une crise organisationnelle, où l’hypothétique ne fait pas partie de l’équation, même s’il est extrèmement documenté.

Désorganisation

Il a fallu attendre le 2 avril, soit 3 mois après le 1er cas avéré en Seine Saint Denis, pour que l’Académie de médecine française recommande, du bout des lèvres, le port d’un masque. Et le 10 mars, le gouvernement français créait le “Conseil scientifique covid19”, pour l’éclairer dans ses choix politiques. Pourtant, selon l’ordonnance royale qui l’a instituée le 20 décembre 1820, la mission de l’Académie de médecine est de :

“répondre aux demandes du gouvernement sur tout ce qui intéresse la santé publique, et principalement sur les épidémies, les maladies, particulières à certains pays, les épizooties, les différents cas de médecine légale, la propagation de la vaccine, l’examen des remèdes nouveaux et des remèdes secrets, tant internes qu’externes, les eaux minérales naturelles ou factices. Elle s’occupera de tous les objets d’étude ou de recherche qui peuvent contribuer au progrès des différentes branches de l’art de guérir.”

On peut donc raisonnablement se demander à quoi sert l’Académie. On peut se le demander à l’aune du multi-latéralisme et de la création de l’Europe : alors que la santé humaine s’applique à l’humanité, en quoi garder une instance nationale est-il encore pertinent ? On pourra ici discuter des particularismes français, comme l’homéopathie, ou se demander en quoi l’avis des autorités médicales françaises est supérieur aux autres autorités médicales, par exemples concernant la consommation de cannabis thérapeutique, contre les médecins espagnols, belges, hollandais, suisses, portugais, italiens ou allemands…

Covid-19 nous a également fait prendre conscience que nous ne savons rien. Nous vivons dans l’illusion de la maitrise de la nature. Alors que nous pouvons envoyer des véhicules dans l’espace, nous ne savons toujours pas, par exemple, pourquoi une simple grippe disparait à l’été pour réapparaitre en hiver. Nous supposons toujours que le virus n’aime pas la chaleur, ou les UV, ou que la faible concentration des populations empêche sa propagation. Mais en fait, nous ne savons pas, parce que nous avons décidé que ce n’était pas important. Face à covid-19, nous ne pouvons pas modéliser parce que nous ne connaissons pas les mécanismes de propagation. Alors les scénarios de reprise sont en V pour les uns, en L pour les autres, en W, en vaguelettes. Au 8 novembre, les scénarios sont donc en L pour la Chine, en W pour le reste du monde…

Mais c’est cette incertitude qui a provoqué l’hystérie en Occident. En Chine, le modèle était différent : le pays était le 1er confronté à la maladie, mais le stress test datait de 2003; aussi, la réponse fut épique. Mais alors que nous avions, censemment, les plans et les technologies pour répondre à une pandémie, l’affaissement des systèmes ont rendu les humains comme des poules face à un couteau : désemparées, à l’écoute de tous les charlatans en manque de publicité.

Le plus grand RFC de l’Histoire

“En France, on a une culture du communiqué de presse, pas une culture de la donnée. Pourtant, c’est essentiel pour éclairer la décision publique et l’opinion.”

C’’est en ces termes qu’un ingénieur de Météo France (!), initiateur d’une base de données des malades et décès covid en mars, résumait la connaissance de la maladie dans les arcanes des institutions. Cela peut préter à sourire (jaune) mais c’est le New York Times qui a fourni en mars à tous ceux qui en faisaient la demande (depuis le simple quidam jusqu’aux institutions sanitaires) les données les plus à jour sur le virus.

Mais si les institutions ont tardé dans leurs réponses, les communautés scientifiques se sont emparées du sujet et ont produit la plus grande recherche de tous les temps sur un virus. Les autorités médicales du monde entier ont appelé les éditeurs à ouvrir leurs bases de données, et ces derniers ont joué le jeu. Covid-19 a mobilisé les chercheurs du monde entier: épidémiologistes, biologistes, infectiologues, virologues, statisticiens, tous ont sans doute étudié et vécu toute leur vie dans l’attente d’une telle pandémie. La plus grande expérimentation in vivo de l’histoire de l’humanité a donné lieu au plus grand RFC jamais réalisé (Le RFC, pour Request For Comment, a été popularisé par internet, en étant le moteur d’une co-création globale qui a permis l’existence d’un réseau dont la résilience a fait ses preuves).

A la date du 8 novembre, la base de données d’Elsevier relative au Covid19 comptait 139.000 articles de recherche. Cette base a été rendue openSource par l’éditeur le plus rentable de la planète, et suivie par l’ouverture de celle du Lancet. A la même date, la base de données openSource SemanticScholar en affichait 140.000.

La bigData a gagné ses lettres de noblesse, et on a vu, courbes après courbes, hypothèses après hypothèses, publications après publications, la revanche des scientifiques et des techniciens sur le domaine de la magie. La méthode scientifique de revue par ses pairs est la méthode qui a bâti la science moderne, comme elle l’a fait pour internet ou pour des OS comme Linux, ou des systèmes comme ceux de la fondation Apache. La nouveauté concernant Covid-19 a été que la science a été discutée par des millions de personnes, qui se sont approprié, chacune avec son niveau de connaissance, la virologie, la biologie, l’épidémiologie. Des plateformes comme medRxiv, bioRxiv, pubMed ou folding@home (déclinaison de Seti@home) ont tout d’un coup eu les faveurs, ou a minima la curiosité, de publics qui leur étaient étrangers.

Graphiques réalisés sur le site covidtracker.fr par Guillaume Rozier, via les données dorénavant disponibles en temps — quasi — réel

Ce RFC ne s’est pas limité à la santé stricto sensu. Les makers ont rivalisé d’ingéniosité pour produire des masques jusqu’aux appareils respiratoires. Les sources, ouvertes, ont été partagées sur d’innombrables plateformes. Une liste non exhaustive des initiatives ouvertes (incluant harware et software) peut être trouvée ici : https://www.perkinscoie.com/en/news-insights/open-access-open-source-and-the-battle-to-defeat-covid-19.html

Le scandale du Lancet ou l’émergence de Panoramix ont mis en lumière les organisations, les systèmes, les méthodes scientifiques, et les discussions qui d’ordinaire ne sortent pas du cercle des sachants; alors que les pays ont été submergés par le virus, les scientifiques l’ont été avec le nombre de publications….

On peut penser que la science en est sortie affaiblie, ou, au contraire, que l’explosion de la tour de verre est une bonne chose, même si on peut regretter les polémiques autrement plus hautes comme Bohr VS Einstein ou Newton contre Descartes que le HCQ de Panoramix et Trump. Le monde entier est devenu virologue, et tant mieux si cela suscite des vocations.

Covid19, accélérateur de changement

On raconte que le développement de l’eCommerce en Chine coincide avec l’épidémie de SRAS; rien n’est moins sûr. Par contre, covid19 a profondément accéléré les usages dématérialisés, en Chine, mais partout dans le monde. En France, des domaines largement oubliés par le “numérique” tels que l’enseignement à distance ou le télétravail se sont développés, mis au pied du mur par la désorganisation du système. Mais c’est également le système de nos sociétés qui a été “disrupté”, et cela questionne leur fonctionnement.

En Chine, la liberté d’expression existe tant qu’elle ne critique pas le gouvernement. En France, la liberté d’expression n’existe pas, tant il y a rupture d’égalité entre le vulgaire twittos et l’éditorialiste d’une chaine de télévision. Aux USA, cette liberté est sans limites, mais le pays découvre qu’elle ne peut l’être, au hasard d’une allocution surréaliste d’un Président déchu.

Covid19 a montré le rôle essentiel des infrastructures, et des systèmes qui les portent. Que ce soit en Chine ou en Occident, la résilience d’internet et des circuits de distribution physique ont permis que les Etats ne s’effondrent pas devant la calamité qui les touchait. Mais il est difficile de s’arc-bouter sur un système prétendument universel défini par les occidentaux, lorsque ledit système prend l’eau de toutes parts.

Vers un système global

La Chine, pays quasi inconnu avant la crise du covid19, est désormais sur le devant de la scène internationale. La philosophie chinoise, c’est de ne pas s’opposer à l’eau qui coule, mais d’en accompagner le mouvement. Aussi, plutôt que de combattre le monde entier, elle s’est rangée au multilatéralisme et en a adopté les principes ; elle dirige désormais 4 agences dépendant de l’ONU, et pas des moindres :

L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI).

Elle siège également au comité consultatif de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, mais elle a échoué à prendre cette année la tête de l’OMPI, face au candidat singapourien, où, selon le New York Times, “for the United States, the vote was nothing less than a battle for the integrity of global intellectual property”. Elle investit dans le monde entier, et développe son soft power via les Instituts Confucius, réplique de nos Alliances françaises, jusque dans des territoires comme la Jamaïque.. Elle agit également avec l’Europe, de façon bilatérale, via l’organisation 17+1.

L’OCDE a accueilli à Paris, en janvier 2020, la Global Conference on Governance Innovation, sous-titrée « Towards Agile Regulatory Frameworks in the Fourth Industrial Revolution ». C’est que les normes sont globales, et la structure, toujours structurante. La 4ème révolution industrielle est en cours en Chine, qui construit “from scratch” son infrastructure industrielle, mais également économique et politique, partant de l’observation des succès et erreurs de l’Ouest.

L’Europe a embrassé, via Hollywood puis Internet, l’American Way of Life. Mais les USA ont sombré dans leur rôle d’exemplarité planétaire, et il faudra beaucoup de travail au duo démocrate pour redonner aux Etats-Unis l’aura d’un pays qualifié de “shit hole” par The Atlantic. La “dual economy” qui s’est accélérée depuis 2008, le démantèlement de l’administration fédérale, la pauvreté endémique ou les problèmes raciaux ne sont pas nés de l’élection de Trump, lequel n’est que le symptôme d’une société malade. L’Occident a accepté une réalité, celle de la croissance, porteur du progrès et du développement. Mais jouir sans entraves, le malheureux slogan de 68, ne fait plus recette; et outre le fait que la (sur)consommation ne fait pas le bonheur, celle-ci est dangereuse pour la planète.

Les USA sont une fédération de provinces sous l’autorité de Dieu ; l’Europe sous celle de la monnaie unique. La Chine est un mélange millénaire de philosophie, de religieux, d’économie et de communisme, lequel n’a pas grand chose à voir avec la définition arrétée en Occident. USA et Europe ont décidé de laisser le marché gérer le progrès humain, ce qui permet aux gauchistes de s’opposer au progrès au motif qu’il est aux mains des multinationales (bigPharma, bigBrother).

Nous allons faire système. Ca prendra du temps, mais nous allons arriver à Fondation : des structures locales dans un monde global, fait de règles universelles, avec des infrastructures normalisées. Déjà, le chinois tikTok et ses 100 millions de membres américains a suffisamment apeuré le président Trump pour qu’il tente de censurer la plateforme, pour des motifs triviaux; tikTok et ses fans de KPop l’auront destabilisé dans une forme d’expression qui ne peut exister en Chine.

Trois blocs sont en compétition : l’Empire américain déclinant, une Chine qui se veut universaliste et une Europe en construction politique. Ces blocs portent des valeurs, qu’ils imposent en top 2 bottom ou qu’ils construisent en bottom up. Ces blocs sont des structures qui gèrent l’information qui permet le futur.

Internet a globalisé les échanges, tout comme il a mondialisé les règles. L’Europe, les Etats-Unis et la Chine sont confrontés à la même chose : l’expression des peuples, selon des organisations diverses. Et même si les réponses sont différentes, un pattern se dessine : une demande de transparence et de Vérité, alors que les fake news prolifèrent. Mais qu’est-ce qu’une fake news ? Un point de vue, une opinion ? Aux USA, le principe constitutionnel de liberté d’expression se fissure, depuis la Présidence de l’agent Orange. Il est demandé aux plateformes de réguler cette liberté d’expression, au grand dam d’une plateforme comme facebook dont le fondateur freine des quatre fers, ne voulant pas se positionner comme l’arbitre de la Vérité. Mais quand une plateforme occidentale doit arbitrer de la Vérité, cela ressemble beaucoup à la Chine…

Si la Chine a gagné la bataille du Covid, c’est parce que les chinois ont suivi les règles d’un pays autoritaire, mais également parce qu’ils ont généralement confiance dans la médecine, et parce que personne n’a remis en question les décisions du gouvernement. C’est aussi parce que les données de l’Etat chinois étaient fiables; la gouvernance par les nombres ne peut fonctionner qu’avec des données fiables. C’est enfin que la Chine avait un plan.

En attendant, il faut prendre Covid19 comme un stress test, une répétition; il y aura d’autres virus, nés dans des contrées étrangères, ou dans les nôtres, qui viendront challenger les animaux du sommet de la pyramide que nous sommes. Si nous ne définissons pas un sens à donner à notre évolution, et les moyens pour y parvenir, des systèmes que nous ne voulons pas s’imposeront à nous, parce qu’ils sont meilleurs et que nous renoncerons à notre liberté devant notre confort.

NB : je peux reprendre l’écriture de mon voyage :)

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