World War Z — En pleine paix, un bourre-pif

julien breitfeld
29 min readSep 13, 2022
Meme ukrainien — non daté

Jusqu’à ce mois de février 2022, le monde était en paix. Mis à part les troubles récurrents au Moyen Orient ou dans certains pays d’Afrique, auxquels nous sommes habitués depuis des décennies, nous jouissions sans entraves d’une stabilité relative, une sorte de paix. Mais, on l’oublie un peu trop souvent, cela fait longtemps que nous ne sommes pas « en paix » avec la Russie. Sur le chapitre ukrainien, l’Union Européenne applique des sanctions aux Russes depuis 2014 (historique des sanctions européennes, sur le site du Conseil). Néanmoins, parce que “la raison”, “le pragmatisme”, “l’économie”, ou, comme le dira la commissaire danoise Margrethe Vestager (Spiegel, 1er mars), “la cupidité”, l’Occident choisit ses combats en fonction de ses intérêts. Si l’or noir russe est désormais intouchable, il n’en est pas de même avec les hydrocarbures provenant des pays de l’OPEP, lesquels figurent quand même comme les pays les moins démocratiques au monde ( Algérie, Angola, Arabie Saoudite, Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée Équatoriale, Iran, Irak, Koweït, Libye, Nigéria, Venezuela). A croire qu’il existe une malédiction du pétrole…. mais passons.

Nous avions, dès 2008, la répétition de la situation ukrainienne, où la Russie de l’homme de paille de Poutine, Dmitri Medvedev, envahit la Géorgie pour « porter assistance à la population russophone » d’Ossétie du Sud, province géorgienne. En 2008, 2014, puis 2022, comment ne pas voir dans ces invasions la rhétorique de l’Allemagne nazie, qui envahit les Sudètes en 1938, des régions où les Allemands sont majoritaires, pour les rattacher au Reich ?

Toujours est-il que le monde, sortant de sa 1ere crise sanitaire planétaire de l’ère Internet, replongeait dans ses vieux démons qu’on croyait disparus en 1945. Disparus, parce qu’on avait labellisé 39–45 en WWII, et que les conflits qui s’ensuivront ne seront que “périphériques”, “proxy”, “localisés”, “tribaux”. Ils existaient encore, mais ni dans l’intensité, ni dans le ressenti des populations occidentales, majoritairement les USA et l’Europe de l’Ouest, qui ne vécurent pas dans leur chair un autre colonialisme, celui de l’Empire soviétique, alors que leurs Nations décolonisaient les pays du Sud. L’ONU, longtemps perçue comme une entreprise essentiellement américaine par la Russie comme les pays dits “non alignés”, avait pour but d’ériger un monde unipolaire, c’est-à-dire basé sur la Règle de Droit : un seul droit, pour l’ensemble des pays du globe. Cette règle d’un seul droit a été vite remplacée par celle d’un seul pays. L’Empire américain, vainqueur des fascismes, qu’ils soient nazis ou communistes, a semblé diriger le monde. Il a posé des règles et s’est assis sur celles qui lui déplaisaient; ainsi, les USA ne sont pas tenus par la Cour de Justice Internationale, puisque n’ayant pas ratifié le Traité, tout comme la Russie…

Le monde et ses alliances en 1980

Il y a 15 ans, le 10 février 2007, le tout nouveau Tsar de Russie prenait pour la première fois la parole à la Conférence de Munich sur la Sécurité, sorte de Davos de la géopolitique, et prenant pretexte de cette mainmise, affirmait :

J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation contemporaine.

(transcription sur le site Solidarité et Progrès)

Il y a 15 ans, le président russe commençait son entreprise de sape du Rule of Law, et déclarait, à mots couverts, la guerre à l’Occident.

En quelques posts, je vais donc tenter de comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là, et surtout, l’issue de ce qui semble être la 3eme guerre mondiale mais n’est in fine que “Vladimir, seul contre tous”.

a. L’entrée en “opération militaire spéciale”

Il ne s’agit pas ici de reprendre une chronologie exhaustive du déroulement de « l’opération militaire spéciale ». J’en ai déjà repris beaucoup de points, dans une archive sur mon git, suite à une veille quotidienne pendant les 3 premiers mois ; ce travail a également été effectué par une myriade d’intervenants, depuis le Ministère de la Défense anglais, qui publie quotidiennement dès le jour de l’invasion une analyse du terrain

au think tank américain “Institute of Study of War”, qui a décrit dès décembre 2021 le déroulement de l’invasion, et poste également sur twitter un point quotidien des opérations

à des chercheurs et analystes, bénévoles, anonymes, institutions, médias. Le chercheur indépendant Kyle Orton effectue un travail remarquable via un thread quotidien sur twitter, le chercheur russe au Wilson Center Kamil Galeev se concentre quant à lui sur le contexte et la société russe, le compte twitter vraisemblablement ukrainien Flash rend compte “sans fake news”, tout comme cette Ukrainienne réfugiée en France. En français, on notera le discord du groupe informel Little Think Tank, l’analyse hebdomadaire de l’ex-colonel français Michel Goya sur son blog La Voix de l’Epée, celles de la sociologue Anna Colin Lebdev qui analyse la société russe, ainsi que les analyses quotidiennes du traducteur français d’origine tchèque André Markowicz (sur facebook). Coté ukrainien, les medias Kyiv Independant, Euromaidan, Hromadske. Coté russe, les sites indépendants (et interdits) Meduza, The MoscowTimes, Novaya Gazeta, ou, aussi étonnant que cela puisse paraître, le site économique russe Kommerzant (ici, la couverture du 157eme jour de l’invasion) sont également des sources premières de qualité. Coté “soft power” occidental, les sites en russe de la BBC ou de RFI donnent à voir plus d’information que leurs déclinaisons nationales, diplomatie oblige.

Sur les internets, le channel weapons ‘k’ de 4chan se révèle, dès lors que les trolls russes deviennent minoritaires, une source d’information interessante, mais qui ne peut rivaliser avec le subreddit “ukraine”, mélange d’infos, de débats et de memes.

Une autre chronologie est assurée par ces développeurs ukrainiens qui ont lancé le site et l’app LiveUMap (https://liveuamap.com/) qui situe géographiquement, et source, toutes les informations provenant du front, des belligérants, ou encore des parties prenantes.

Et des parties prenantes, il y en a, tout comme des bandes de billard. N’en déplaise à cette ancienne candidate à la présidentielle française pour qui l’invasion russe se résume à un problème de frontières, si le caractère hydride de cette guerre n’est pas nouveau, elle est bien mondiale, et l’agresseur est bien identifié.

Ségolène Royal en lice pour le Prix Marcel Déat

Pour le monde entier, l’invasion de l’Ukraine par la Russie débute le 24 février 2022 au matin. Pourtant, ce conflit, qui dure depuis maintenant 8 ans, débute « officiellement » un an plus tôt, en février 2021.

Février 2021

2 février
Le Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine prend la décision d’interdire 3 médias (112, NewsOne, et ZIK) appartenant au magnat ukrainien et homme lige de Moscou Viktor Medvedchuk, qui orchestre depuis plusieurs mois une campagne de dénigrement contre le président légitimement élu. Si les États-Unis se félicitent de la lutte contre la désinformation, “arme de guerre”, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, dénonce le blocage des trois stations comme une violation de la liberté des médias et des normes internationales (RFEL, 4 février). Les ambassadeurs du G7 et de l’UE sont notifiés dès le 3 février (site de la présidence ukrainienne).

10 février
Poursuivant le Sommet UE-Ukraine du 6 octobre 2020, la Commission européenne confirme qu’elle est prête à entamer le réexamen des dispositions relatives au commerce de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine datant de 2014. L’UE a versé €600 millions à l’Ukraine en décembre 2020, et un 2ème versement est prévu, conditionné notamment au renforcement de la lutte anti-corruption. Le Vice-Président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, après sa rencontre avec le Premier ministre ukrainien Denys Shmyhal, déclare :

“In my meeting with Prime Minister, I stressed that the anti-corruption efforts are important for the next tranche of the EU’s macro-financial support as well.”

11 février
Du 9 au 10 février est débattu au Parlement européen de la Résolution sur la mise en œuvre de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine. Le texte est adopté à la majorité simple et transmis au Conseil, à la Commission, au gouvernement et au parlement de l’Ukraine, ainsi qu’au gouvernement et au Parlement de la Fédération de Russie. Les petits télégraphistes sont déjà à la manœuvre, le député européen d’extrême droite Thierry Mariani déclare lors des débats : “En 2013, c’était bien une forme de fanatisme qui s’empara de la Commission. Elle alla contre toutes les évidences historiques, culturelles et politiques et voulut que l’Ukraine signe sans attendre un accord d’association qui avait pour principal objectif d’éloigner Kiev de la Russie”. Il s’abstiendra, pendant que l’extrême gauche française (Aubry, Bompard, Chaïbi, Maurel, OMarjee, Pelletier) votera contre (résultats du vote, site du Parlement).

19 février
Tous les avoirs de Viktor Medvedchuk sont gelés (Reuters)

21 février
Le ministère russe de la Défense annonce le déploiement de 3.000 parachutistes à la frontière avec l’Ukraine pour des “exercices à grande échelle”, les entraînant à “saisir les structures ennemies et à les retenir jusqu’à l’arrivée de la force principale” (Time, 2 février 2022).

Mars / mai 2021
Dans le Donbass, on assiste à des escarmouches entre les deux camps (wikipedia). D’après la mission de l’OSCE relative à l’Ukraine, le nombre de violations du cessez-le-feu dans les territoires séparatistes connaît une augmentation, mais il ne s’est jamais autant rien passé dans la région sur l’année 2021.

Rapport annuel de la Mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine — source https://www.osce.org/files/f/documents/2/a/511327.pdf

18 mars
Le Président russe Vladimir Poutine prononce un discours pour marquer l’anniversaire de “la réunification” de la Crimée avec la Russie. Il y développe les prémisses de son adresse de juillet 2021, et justifie l’invasion de 2014 dans un discours ultra-nationaliste et révisionniste, remontant l’Histoire russe au 10ème siècle :

“The result of the 2014 referendum is not only a return to historical justice, the restoration of historical justice. We once again distinctly and clearly showed ourselves and the world that our people have the ability to unite around the interests of the Motherland.”

Juin 2021

21 juin
Dans un éditorial publié par le journal allemand Die Zeit pour marquer le 80e anniversaire de l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, le président russe Poutine décrit le renversement du Président ukrainien pro-russe Viktor Yanukovych en 2014 comme un “coup d’État armé anticonstitutionnel”, soutenu activement par l’Europe (édito également reproduit sur le site du Kremlin).

Yanukovych sera ajouté à la liste des personnes soumises à sanctions le 4 août 2022 par l’UE, en raison de son “action visant à compromettre ou menacer l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité de l’État” (communiqué de presse du Conseil, 4 août)

Juillet 2021

12 juillet
Le site du Kremlin publie, en russe, anglais, et pour la première fois en ukrainien selon certains observateurs, un long texte de Vladimir Poutine intitulé « On the historical unity of Russians and Ukrainians ».

Le président russe y convoque l’Histoire, remontant au XIVè siècle, et déroule un argumentaire faisant de la Russie un martyr, attaqué par la Pologne, la Lituanie, l’Autriche Hongrie, l’église catholique romaine, l’alphabet latin…. Il y convoque le peuple russe, disséminé sur ces territoires, dont un concert de nations a nié pendant des siècles une volonté commune de faire une communauté nationale.

Il énonce surtout une réécriture de l’Histoire (« l’Ukraine moderne est entièrement le produit de l’ère soviétique »), déroulant son argumentaire : l’Ukraine, sans la Russie, est devenue « le pays le plus pauvre d’Europe », son peuple est martyrisé par ses élites, sur un territoire où « des marches et des processions aux flambeaux en l’honneur des criminels de guerre restants des unités SS se déroulent sous la protection des autorités officielles ». L’Ukraine est ainsi en proie à des « radicaux » et des forces extérieures visant à créer un « projet anti-russe ».

Il conclut sur une pseudo liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, appelant les Ukrainiens à rejoindre la mère patrie russe.

Août 2021

23 août
La première édition du sommet dit “Plateforme de Crimée”, organisée à l’initiative du Président ukrainien Volodymyr Zelenskyy, se tient à Kyiv. Y sont présents le Président du Conseil de l’UE Charles Michel, les présidents de la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Moldavie, la Slovénie, la Finlande, les premiers ministres de la Roumanie, la Géorgie, la Croatie, la Suède, les présidents des parlements tchéques et suisses, les ministres des Affaires étrangères de la Turquie, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, l’Autriche, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l’Irlande, du Danemark, de Bulgarie, du Monténégro, et de Macédoine du Nord. Deux États seront représentés par des ministres de la défense — la Grande-Bretagne et le Portugal. Les États-Unis seront représentés par un envoyé personnel du président (agence de presse ukrainienne Pravda). L’OTAN sera également présent, via sa Secrétaire général adjointe Mircea Geoană. La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović Burić, tout en réitérant la condamnation de l’annexion de la Crimée, déclarera (site du Conseil de l’Europe) :

“Nous restons attachés au principe de l’indépendance de l’Ukraine, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, et nous soutenons la pleine mise en œuvre des accords de Minsk et des conclusions du sommet de Paris, qui est indispensable pour mettre fin au conflit militaire dans le Donbass.”

L’un des objectifs de cette plateforme est de s’assurer de l’efficacité des sanctions contre la Russie ainsi que de mener des négociations en vue de l’élargissement et du renforcement des sanctions internationales contre la Russie.

24 août
L’Ukraine célèbre les 30 ans de son indépendance, résultant de la fin de l’URSS.

Septembre 2021

La Russie organise des exercices militaires conjoints avec la Bielorussie, Zapad 2021, du 10 au 15 septembre 2021. Le scénario de ces exercices consiste à contrer une coalition d’États de l’OTAN intervenant en Biélorussie pour conduire un changement de régime et arracher une partie du pays. (Moscow Times, 23 septembre); “Purement défensif”, il aurait impliqué 200.000 militaires , jusqu’à 760 pièces d’équipement et 15 navires.

Octobre 2021

11 Octobre
Dans un éditorial publié par le journal économique Kommerzant, l’ancien président russe et actuel vice-Président du conseil de Sécurité russe Dmitri Medvedev accuse l’Ukraine d’être un Etat vassal de l’étranger, dirigée par des gens faibles qui ne cherchent qu’à se remplir les poches. Et y convoque, bien évidemment, les “nazis” qui remontent à la seconde guerre mondiale.

Novembre 2021

11 novembre
Les États-Unis avertissent l’Europe que la Russie pourrait planifier une invasion de l’Ukraine (Bloomberg).

La Bielorussie accuse faussement l’OTAN de masser ses troupes à sa frontière et continue d’instrumentaliser l’envoi de réfugiés provenant du conflit syrien à sa frontière avec la Pologne (Institut of the Study of War).

12 novembre
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, rejette les informations des médias occidentaux selon lesquelles Moscou aurait l’intention d’envahir l’Ukraine comme une “tentative creuse et infondée d’inciter aux tensions”. Selon le ministère ukrainien de la Défense, 90.000 soldats russes sont stationnés non loin de la frontière et dans les zones contrôlées par les rebelles dans l’est de l’Ukraine (AP).

15 novembre
Les présidents français Emmanuel Macron et russe Vladimir Poutine s’entretiennent par téléphone au sujet de l’instrumentalisation des flux migratoires orchestrée par la Biélorussie à la frontière polonaise (site de l’Elysée)

Décembre 2021

7 décembre
Entretien téléphonique entre les président américain Joe Biden et russe Vladimir Poutine, où le premier menace le second de “fortes sanctions” économiques en cas d’invasion de l’Ukraine (site de la Maison Blanche). Le communiqué du Kremlin est plus loquace, renvoyant toujours la faute des tensions sur l’Ukraine et l’OTAN.

Le président Biden s’entretient avec les dirigeants de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et du Royaume-Uni — connus sous le nom de groupe “Quint” — pour les informer de sa discussion avec le président russe Vladimir Poutine (site de l’Elysée).

14 décembre
Entretien téléphonique entre les Président français Emmanuel Macron et russe Vladimir Poutine où le premier “réaffirme son attachement à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ainsi que sa détermination à peser en faveur de la mise en oeuvre des accords de Minsk, dans le cadre du format Normandie sous médiation de la France et de l’Allemagne” (site de l’Elysée). Le communiqué du Kremlin est plus détaillé, le président russe se plaignant toujours de la “menace” de l’OTAN et de l’Ukraine pour la sécurité de la Fédération de Russie.

It was also noted that the Ukrainian authorities are purposefully aggravating the situation on the line of contact, and are doing so with the complicity of a number of Western countries. In addition, modern weapons are being pumped into Ukraine, which poses direct threat to Russia’s security.

17 décembre
On peut penser que la décision russe d’envahir l’Ukraine découle de l’avancement de son rapprochement de l’UE, tout comme de celui de la démocratisation et de libéralisation de sa société.
Après les discours martiaux vient la réponse effective de la Fédération de Russie à l’émancipation de son ex vassal. La Russie déclenche un casus belli en adressant à l’Europe et aux Etats-Unis deux propositions de Traités, un “Traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité”, et un “Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord [OTAN]”. Ces deux textes sont clairement des ultimatums, qui ne peuvent en aucun cas être signés par aucun pays démocratique (“intended for rejection?” s’interroge le think tank américan Brookings).
Si Moscou demande l’interdiction de tout nouvel élargissement de l’Alliance atlantique à l’Europe de l’Est (citant nommément l’Ukraine), ainsi que l’établissement de bases militaires américaines dans ce qu’elle considère comme sa zone d’influence naturelle, elle exige surtout de l’OTAN de ne pas déployer de personnel militaire et d’armes supplémentaires en dehors des pays dans lesquels ils se trouvaient en mai 1997. Cette “demande” contrevient à la liberté des Nations à signer des traités et accords, et elle devient une menace, non pas pour l’OTAN, mais pour tous les pays, ex membres du Pacte de Varsovie, qui ont rejoint l’Alliance depuis 1997 : la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Albanie, la Croatie, le Montenegro et la Macédoine du Nord. (source, Nezavisimaya Gazeta). Ces textes sont portés comme des ultimatum, puisqu’en cas de refus, les Occidentaux devront faire face « à une alternative militaire et technique », déclarera le vice-ministre des Affaires étrangères Alexandre Grouchko (une analyse approfondie de ces textes est publiée sur le site desk-russie).

En février 2022, peu de temps avant l’invasion, la Première Ministre estonienne, Kaja Kallas, explicitera, à la Conférence de Sécurité de Munich, les méthodes de “négociations” russes, calquées sur celles des soviétiques, en citant le prédécesseur de Mikhaïl Gorbatchev, Andreï Gromyko : “Premièrement, exiger le maximum en demandant quelque chose qui n’a jamais été à vous; deuxièmement, présenter un ultimatum; troisièmement, ne rien céder, parce qu’il y aura toujours quelqu’un à l’Ouest pour vous proposer quelque chose”.

30 décembre
A l’issue d’un échange téléphonique entre les président américain et russe, le communiqué américain note (site de la Maison blanche):

the United States and its allies and partners will respond decisively if Russia further invades Ukraine.

Le site du Kremlin note quant à lui que “les sanctions à grande échelle seraient une grave erreur, de facto lourde du danger d’une rupture complète des relations russo-américaines”.

31 décembre
Le ministre des Affaires étrangères russes, Sergei Lavrov, déclare à l’agence de presse Ria Novosti (source : chaine Telegram) :

Des centaines de milliers de citoyens russes vivent dans le Donbass, nous prendrons toutes les mesures pour les protéger et résoudre le conflit par la diplomatie

Janvier 2022

2 janvier
A l’issue d’une conversation téléphonique entre les président américain et ukrainien, le communiqué américain note (site de la Maison blanche) :

President Biden underscored the commitment of the United States and its allies and partners to the principle of “nothing about you without you.”

3 janvier
L’OTAN passe le délai de réaction de sa force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) d’une semaine à 5 jours (CNN)

5 janvier
Le vice-Président de l’UE en charge des Affaires Etrangères Josep Borrell se rend dans le Donbass en compagnie de son homologue ukrainien Dmytro Kuleba (compte twitter), une première depuis 2014.

7 janvier
L’OTAN organise une réunion virtuelle (par visio) extraordinaire des ministres des Affaires étrangères. le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, déclare (site de l’OTAN) : « Les actions agressives de la Russie compromettent gravement l’ordre sécuritaire en Europe. L’OTAN reste attachée à notre double approche vis-à-vis de la Russie : une dissuasion et une défense fortes, combinées à un dialogue constructif. C’est un signal positif que la Russie soit maintenant prête à venir à la table et à parler, car lorsque les tensions sont fortes, le dialogue est encore plus important.

A l’occasion de ses voeux à l’Eglise orthodoxe, le président biélorusse Aleksandr Lukashenko déclare (site officiel de la République biélorusse):

I should say that this year will not be easy. The world will change drastically. The world will change in a way that nations and countries will unite. It will not be easy to survive alone. It will be impossible. Therefore, we are committed to preserving our sovereignty and independence, to protecting our statehood. But we must also enhance ties with our closes friends and brotherly countries. Who are they? This is Russia. This is Kazakhstan. This is Ukraine. It does not matter what is happening there today. People are struggling there. This could not continue. We must do our best to bring Ukraine back to the true faith. There has been a big split even in terms of religion, and it will be very difficult to cope with all that. They also tried to do it here in 2020 — the autocephality, a split in our church, and so on and so forth. You are aware of that. We avoided that. I do not want this to happened in neighboring countries

18 janvier
La Biélorussie annonce des exercices conjoints (“Allied Resolve”) avec la Fédération de Russie du 10 au 20 février. Le présidient Loukachenko, cité par le Moscow Times, déclare que lui et Poutine avaient convenu en décembre de mener des exercices militaires “puissants” à travers le “balcon biélorusse” de ses frontières ouest et sud, afin de “perfectionner les plans pour affronter les puissances occidentales — les pays baltes et la Pologne, et le sud — l’Ukraine”.
Le 20 février, le ministère de la Défense du Bélarus annoncera que les exercices militaires avec les forces russes seraient prolongés au-delà de leur date de fin prévue (Deutsche Welle, 20 février).

20 janvier
La Russie annonce des exercices navals en janvier et février dans les eaux de la Méditerranée, de la mer du Nord, de la mer d’Okhotsk, dans la partie nord-est de l’océan Atlantique et dans l’océan Pacifique, impliquant plus de 140 navires de guerre et navires de soutien, plus de 60 avions, 1.000 pièces d’équipement militaire et environ 10.000 militaires (AFP).

23 janvier
Les Etats-Unis demandent aux familles de leur personnel diplomatique à Kyiv de quitter le territoire ukrainien. Le lendemain, la notice d’information aux voyageurs américains passe au niveau 4, le dernier sur une échelle de 4 : “Do not travel” (Ambassade des Etats-Unis en Ukraine)

Février 2022

1er février
Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov adresse un courrier à La Norvège, la Suède et la Finlande (The Barents Observer) ainsi qu’aux membres de l’OTAN et de l’UE, se disant « préoccupé par l’aggravation des tensions politico-militaires aux abords immédiats de ses frontières occidentales ». Il y répond surtout, dans un charabia politico-légal, à la fin de non-recevoir de l’ultimatum du 15 décembre par l’OTAN et les USA (Ministère des Affaires étrangères russe).

3 février
Le Président français Emmanuel Macron, s’entretient successivement avec les Présidents de la fédération de Russie, et de l’Ukraine (site de l’Elysée).

7 & 8 février
Les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de la République tchèque, de l’Autriche et de la Slovaquie effectuent une visite en Ukraine les à l’invitation du ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba (ministère des Affaires étrangères ukrainien), et se rendent sur la ligne de “contact” à Louhansk. Le ministre des Affaires étrangères tchèque Jan Lipavský déclarera (site du ministère tchèque) :

“ Ce voyage est un grand geste symbolique. La sécurité de l’Ukraine signifie la sécurité de toute l’Europe. Si l’Ukraine a choisi la voie européenne et l’orientation occidentale, elle devrait avoir la possibilité de réaliser son rêve.”

Le 7 février, le Président français Emmanuel Macron se rend à Moscou, en tant que représentant et médiateur de l’UE. La rencontre à huis clos durera 5h.
Lors de la conférence de presse qui suivra, le président russe fera une menace à peine voilée à l’Occident : n’intervenez pas, nous détenons l’arme nucléaire (transcription sur le site du Kremlin) :

“ we also understand that Russia is one of the world’s leading nuclear powers, and is superior to many of those countries in terms of the number of modern nuclear force components. But there will be no winners, and you will find yourself drawn into this conflict against your will.”

Le 8 février, le Président français se rendra à Kyiv où il rencontrera pendant 3h le Président ukrainien Volodymyr Zelenskyy.

9 février
Lors de son point presse hebdomadaire, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, déclare :

“ People, including children, are being killed there [in Dombass]. Unfortunately, children’s cemeteries have become a reality for Europe in the 21st century. It is necessary to write about this. But they write about a hypothetical chance of a Russian attack, about some plans. This is sheer nonsense. We are disavowing these allegations, showing that they are not true.”

Répondant à une question d’un journaliste au sujet de partenariat de sécurité énergétique discuté entre les USA et l’UE (voir déclaration conjointe du 7 février 2022), elle poursuivra :

“ Russia is the country that indeed supports the EU’s and the entire Europe’s energy security, for that matter. We have been doing this for several decades, conscientiously and efficiently. Over more than half a century of cooperation in the energy sector, neither the USSR nor Russia (as a successor and independent state) has ever failed their European partners, but has strictly fulfilled all contractual obligations, thus earning a solid reputation as reliable suppliers of energy resources. We continue to do this even now despite all the offensive statements addressed to us, threats, as lowly as blackmail, and endless accusations of things we did not do. We continue to work anyway. We are doing it efficiently and to mutual benefit. We are trying to explain to our partners what a dangerous line they are approaching by heeding the calls of American sirens regarding certain energy projects. We are doing this despite the hysteria unleashed in the West around Nord Stream 2, attempts to link energy cooperation with geopolitics, and creation of geopolitical prerequisites for staging another attack on Russia’s energy contracts with European countries.

10 février
La fédération de Russie débute ses exercices militaires conjoints avec la Biélorussie, se déroulant sur le territoire de cette dernière. Quelques 30.000 soldats russes y sont envoyés, ce qui est le plus grand déploiement russe depuis la fin de la guerre froide (CGTN France).

12 février
Les Etats-Unis évacuent leur ambassade à Kyiv de la quasi totalité de leur personnel diplomatique. Israel, l’Allemagne ainsi que le Royaume Uni les ont précédés d’un jour (Politico), tandis que la Russie y “optimise” ses effectifs (Tass).

Les Etats-Unis envoient 3.000 hommes supplémentaires en Pologne, provenant de la 82ème division aéroportée, dans le cadre de l’OTAN, portant le corps d’armée à près de 5.000 soldats (tvn24).

La Fédération de Russie débute des exercices navals impliquant plus de 30 navires de la flotte de la mer Noire. Deux jours plus tôt, alors que les premiers navires russes franchiront le détroit des Dardanelles, l’ambassade des Etats-Unis en Ukraine twittera (US Naval Institute, 11 février) :

“Sous prétexte d’exercices militaires, la Russie restreint la souveraineté maritime de l’Ukraine, limite la liberté de navigation dans la mer Noire/mer d’Azov et entrave le trafic maritime essentiel à l’économie ukrainienne”.

La porte-parole du MAE russe, Maria Zakharova, déclare sur son compte Telegram (agence de presse turque Anadolu):

“The White House hysteria is more revealing than ever. The Anglo-Saxons need a war. At any cost. Provocations, disinformation, and threats are favorite methods of solving their own problems. […] We can talk about the collusion of the authorities of Western countries and the media in order to escalate artificial tension around Ukraine by the massive and coordinated publication of false information in geopolitical interests, in particular, to distract attention from their own aggressive actions.”

Le compte twitter du Ministère des Affaires étrangères russe dénonce une “collusion entre les gouvernements occidentaux et les médias visant à attiser les tensions sur l’Ukraine au moyen d’une campagne massive et coordonnée de fakenews” 😂

14 février
Les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada décident de retirer leurs instructeurs militaires d’Ukraine (opex360).

15 février
Le Parlement russe, sur proposition du Parti Communiste (« d’opposition »), soumet un texte de loi appelant le Président russe à reconnaître les Républiques indépendantes du Donetsk et de Louhansk, les deux territoires irrédentistes constituant le Donbass (Meduza); cette reconnaissance équivaudrait à l’abandon des accords de Minsk. Les experts cités par le Moscow Times ne croient pas qu’une telle résolution puisse avoir lieu.

16 février
Par la voix de ses canaux diplomatiques, la Russie dénonce une « hystérie » occidentale concernant une invasion de l’Ukraine. depuis l’ambassadeur russe en Turquie)

jusqu’au porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov (cité par l’agence de presse turque Anadolu Agency).
Mais elle va également au-delà, puisque la porte-parole du MAE Russe, Maria Zakharova, à propos d’une éventuelle invasion, déclare « nous n’allons pas le faire, nous n’avons pas de tels plans, , nous organisons des exercices » (agence de presse russe Tass). Et, dans tous les éléments de langage russes, c’est la Russie qui se définit comme victime, de l’Ukraine, de l’OTAN, de l’Occident.

La Russie annonce des exercices militaires navals dans la mer de Barents (The Barents Observer).

18 février
L’Ukraine est visée par une série de cyberattaques visant le ministère ukrainien de la Défense et les principales banques du pays. Selon les responsables ukrainiens, ces attaques par déni de service (DDoS) sont les pires de l’histoire du pays (AP).

19 février
A la Conférence de Munich, “Davos de la géopolitique” annuel se tenant depuis 1963, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen déclare :

Nous sommes face à une tentative flagrante de réécriture des règles de notre système international. Il suffit de lire le récent communiqué publié par les dirigeants russe et chinois. Ces dirigeants cherchent à créer une «ère nouvelle», selon leurs dires, visant à remplacer l’ordre international existant. Ils préfèrent la loi du plus fort aux principes de l’état de droit, l’intimidation à l’auto-détermination et la coercition à la coopération.

20 février
La Douma vote l’appel à Vladimir Poutine pour reconnaître l’indépendance des Républiques séparatistes ukrainiennes (site de la Douma).

Dans une interview à la BBC, le Premier ministre anglais Boris Johnson déclare que le plan de la Russie est de lancer “la plus grande guerre d’Europe depuis 1945” avec une invasion de l’Ukraine à travers la région orientale du Donbass et depuis la Biélorussie. au nord, avec des soldats qui encercleront la capitale de Kyiv.

Le Président français Emmanuel Macron s’entretien par téléphone avec son homologue russe. L’entretien démontre le mépris de Vladimir Poutine, qui déroule l’entretien depuis sa salle de sport et y met fin “pour aller jouer au hockey”. Il y affirme notamment au Président français qu’il avait l’intention de retirer les troupes russes de Biélorussie dès que les exercices militaires en cours seraient terminés (i24news).
La discussion sera filmée et diffusée lors du reportage de France2 le 30 juin, “Un Président, l’Europe et la guerre” (disponible en streaming jusqu’au 30/10 sur le site de FranceTelevisions). Cet échange surréaliste, qui présente le droit contre le mensonge (Macron : “”Je ne sais pas où ton juriste a appris le droit. Moi je regarde juste les textes et j’essaie de les appliquer !") semble être un tournant dans la diplomatie française, exposant directement à la population la duplicité et l’hypocrisie du Maître du Kremlin.
Le 4 juillet, Moscou réagira à cette diffusion, accusant l’Elysée de violation de confidentialité diplomatique, la porte-parole du MAE Maria Zakharova indiquant sur son compte Telegram : “
la confiance mutuelle est rompue dans ce contexte” (Courrier International, 4 juillet).
Cette stratégie a été poursuivie par la diffusion par l’Armée française de la tentative russe de manipulation sur un charnier au Mali, le 22 avril dernier (
opex360).

“Dans ce contexte”, le Président du Conseil des ministres italien Mario Draghi déclarera le 17 avril (Der Spiegel) : “Il est inutile de parler à Poutine, on n’y que perd que du temps”, le chancelier autrichien Karl Nehammer, déclarant quant à lui après son entrevue le 11 avril que le Président russe était “dans sa propre logique de guerre” contre l’Ukraine (KyivIndependant).

21 février
Dans une allocution télévisée, le président russe Vladimir Poutine reconnaît l’indépendance des régions (Oblast) ukrainiennes sécessionistes du Donbass, le Donetsk sous l’appelation République populaire de Donetsk (DPR), et Louhansk sous l’appelation République populaire de Louhansk (LPR)(AlJazeera). Il y envoie des troupes de « maintien de la paix » (The Guardian).

Cette reconnaissance est condamnée comme une « violation flagrante du droit international » par l’Union européenne, la Grande Bretagne et les Etats Unis (France24)

L’Ukraine demande une réunion d’urgence du conseil de sécurité de l’ONU, au nom de l’article 6 du mémorandum de Budapest.

22 février
Le principe de sanctions à l’égard de la Fédération russe est acté. L’Allemagne reconnait, par l’intermédiaire de sa ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock, que celles-ci couteront cher à l’Allemagne, notamment en termes énergétiques.

23 février
L’UE adopte un paquet de sanctions en réponse à la reconnaissance des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk, visant notamment les 351 membres de la Douma d’État russe qui ont voté le 15 février, ainsi que des restrictions de l’accès de la Russie aux marchés et services financiers de l’UE (communiqué de presse du Conseil).

Le Parlement ukrainien vote l’état d’urgence (Reuters), tandis que le pays rappelle ses réservistes (Reuters).

24 février
Dans une allocution enregistrée dont la rhétorique est à chercher du côté de la Russie stalinienne, Vladimir Poutine annonce «l’opération militaire spéciale » en l’Ukraine, justifiée par une lutte préventive contre « l’empire du mensonge ». Son but est de « démilitariser et de dénazifier l’Ukraine, ainsi que de traduire en justice ceux qui ont perpétré de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris contre des citoyens de la Fédération de Russie ».

Transcription de l’allocution de Vladimir Poutine publiée par le journal suisse La Liberté le 7 mars 2022. La publication — sous forme d’encart publicitaire — a été payée par un avocat suisse, Jean-Pierre Egger

Des experts, comme le chef du bureau de Moscou du Financial Times, Max Seddon, postulent que la déclaration aurait été enregistrée le 21 février, en même temps que la déclaration de reconnaissance de l’indépendance de la LPR et du DPR.

L’analyse ultérieure des metadata de la vidéo par le journal indépendant Novaya Gazeta révèlera qu’il en état ainsi (source inforesist; le site Novaya Gazeta d’origine n’existe plus, ayant suspendu ses publications web et papier en mars suite aux lois concernant la “discréditation de l’armée russe”).

L’invasion russe démarre sur trois fronts : au Sud, depuis la Crimée, au Nord, depuis la Biélorussie, et à l’Est, depuis le territoire des “républiques populaires” de la LPR et du DNR (état de l’offensive, Institute for the Study of War). L’offensive cyber continue, contre les sites internet du gouvernement, des ministères des Affaires étrangères, de l’agriculture et des services de sécurité (Kyiv Independant). Le réseau de communication par satellite KA-SAT, fourni pour le territoire européen par l’américain Viasat est également victime d’une cyberattaque (CNBC). Plus de 30.000 modems devront être remplacés (HackerNews, 11 mai 2022), sur tout le continent. Le dommage collatéral le plus notable est mise à l’arrêt de 3.000 à 5.000 éoliennes allemandes, utilisant ce réseau satellitaire (pv magazine, 1er mars)

Les dirigeants de l’UE se réunissent lors d’un sommet extraordinaire et approuvent de nouvelles sanctions contre la Fédération de Russie. On parle désormais de “agression militaire non provoquée et injustifiée de la Russie contre l’Ukraine”, et le communiqué de conclusion note :

“Le Conseil européen est fermement convaincu que le recours à la force et à la coercition pour modifier les frontières n’a pas sa place au vingt-et-unième siècle. Les tensions et les conflits devraient être résolus exclusivement par le dialogue et la diplomatie.”

Les habitants de Kyiv tentent de fuir la ville, qui a été touchée par au moins un missile tiré sur le bâtiment du Ministère de la Défense (Reuters). Le président Zelenskyy proclâme la loi martiale (USAToday).

Population de Kyiv fuyant la ville après les premières frappes — Pierre Crom/Getty Images

Le 24 février au soir, alors que la propagande russe répète à l’envie depuis une semaine que le président ukrainien va fuir son pays (vers l’Italie, vers Los Angeles), Volodymyr Zelenskyy prend des accents churchiliens et appelle à la résistance.

25 février
Le Conseil de Sécurité de l’ONU se réunit pour voter une proposition de condamnation de l’invasion de l’Ukraine. Ironie, ou calcul, sa présidence tournante est alors assurée par la Fédération de Russie. La résolution est adoptée par 11 voix pour, une voix contre (Russie) et trois abstentions (Chine, Inde, Emirats arabes unis), mais la voix de la Russie compte pour véto.

Le représentant permanent de la France, Nicolas de Rivière, déclarera :

La Russie foule au pied les responsabilités que lui confère le statut de membre permanent du Conseil de sécurité. Elle instrumentalise la Charte des Nations Unies pour en violer les principes les plus fondamentaux.

La représentante américaine, Linda Thomas-Greenfield :

Vous ne pouvez pas opposer votre veto à nos voix ; Vous ne pouvez pas opposer votre veto à la vérité ; Vous ne pouvez pas opposer votre veto à nos principes; Vous ne pouvez pas opposer votre veto au peuple ukrainien; Vous ne pouvez pas opposer votre veto à la Charte des Nations Unies.

Le représentant russe Vassily Nebenzia, continuant l’entreprise de désinformation, persistera à confondre les situations russes et ukrainiennes :

“Soulignant que la résolution va à l’encontre des intérêts du peuple ukrainien — qui a vécu une tragédie au cours des huit dernières années -, il a déclaré que le vote négatif était dû à ce qui avait été omis dans le texte : que ceux qui ont pris le pouvoir lors du coup d’État 2014 avait bombardé les habitants de Donetsk et Lougansk ; que l’Ukraine, avec le soutien de l’Occident, n’a pas mis en œuvre les accords de Minsk ; et que les néo-nazis et les milices continuent de tuer des civils, ajoutant à des crimes aussi sanglants que les attaques de tireurs d’élite contre les manifestants de Maïdan […] Les autorités ont assassiné des opposants politiques et fermé des médias, faisant de l’Ukraine un pion dans leur jeu. La responsabilité incombe au gouvernement ukrainien”

Pour le représentant ukrainien, Sergiy Kyslytsya :

Le scénario diabolique du délégué de la Fédération de Russie n’est rien de plus qu’une “lettre de candidature pour un siège haut de gamme en enfer”

Source : ONU — Couverture de la réunion SC/14808

En Ukraine, il est désormais interdit à tous les hommes de 18 à 60 ans de quitter le territoire (Vice News).

En Russie, le président Poutine appelle les soldats ukrainiens à se rendre, plutôt que de soutenir un “gang de drogués et de néonazis installé à Kyiv et qui a pris la population en otage” (NBC News).

26 février
L’agence de presse russe RIA Novosti met en ligne accidentellement un éditorial rédigé par le chroniqueur Pyotr Akopov et intitulé « L’avènement de la Russie et du nouveau monde » (traduction sur le site de la Fondapol). Ce texte, qui devait initialement être publié au lendemain d’une victoire éclair russe, est retiré presque immédiatement. Il est néanmoins annexé par le projet américain webArchive, et il explique les buts de “l’opération militaire spéciale” : l’invasion de l’Ukraine est le début du projet impérialiste du Kremlin; la reconstruction de l’URSS pave la voie d’un nouvel ordre mondial.

La Russie restaure son unité. En effet, la tragédie de 1991, cette terrible catastrophe de notre histoire, cette dislocation contre nature, est enfin surmontée. Cette restauration exige de grands sacrifices, par les événements tragiques d’une quasi-guerre civile, où des frères, séparés par leur appartenance aux armées russe et ukrainienne, se tirent encore dessus, mais il n’y aura plus d’Ukraine antirusse. La Russie est rétablie dans son intégralité historique, rassemblant le monde russe, le peuple russe : les Grands-Russes, les Biélorusses et les Petits-Russes.

L’Ukraine dépose une requête introductive d’instance contre la Fédération de Russie devant la Cour internationale de Justice, niant catégoriquement les accusations de génocide au Dombass, accusant la Fédération « de planifier des actes de génocide en Ukraine » et affirmant que la Russie « de manière intentionnelle tue des personnes de nationalité ukrainienne et porte atteinte gravement à leur intégrité physique — l’actus reus du génocide en vertu de l’article II de la convention » sur le génocide (communiqué de presse de l’ICJ, 27 février)

27 février
La résolution 2623 du Conseil de Sécurité de l’ONU réclamant une réunion d’urgence de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la situation en Ukraine est adoptée (wikipedia). Dans ce cas de figure, les droits de veto sont interdits. L’Assemblée générale se tiendra le 2 mars.

L’Union européenne annonce un nouveau train de sanctions, avec l’interdiction d’accès au sol de l’UE aux aéronefs immatriculés en Russie, ainsi que l’interdiction de diffusion des chaînes de propagande russes RT et Spoutnik dans toute l’Europe (compte twitter d’Ursula von der Leyen)

28 février
L’ambassade de France est transférée de Kyiv à Lviv, près de la frontière polonaise, en raison des “risques et des menaces” dans la capitale ukrainienne (MAE Jean-Yves Le Drian, BFMTV)

L’Ukraine demande officiellement à rejoindre l’Union européenne (Oleksiy Sorokin, KyivIndependant)

Fin février, il paraît clair pour l’ensemble des observateurs que le but du président russe est une annexion pure et simple du territoire ukrainien. Utilisant les méthodes purement mafieuses qui ont eu cours tout au long de son ascension au pouvoir, Vladimir Poutine recherche alors une répétition des accords de Munich de 1938 où les puissances occidentales, faibles, cédaient les Sudètes à Hitler pour sauver la paix. Elles eurent le déshonneur et la guerre. Etonnament, ni les commentateurs, ni les experts, ni même le monde russe, ne s’attendait à une mobilisation massive du camp occidental, ou à une résistance “féroce” des Ukrainiens (NBCNews, 25 février) même si la suite des événements va montrer que, selon la phrase célèbre de de Gaulle, “les Etats n’ont ni amis, ni alliés, seulement des intérêts”.

A l’ONU, comme sur la planète, c’est le retour des non alignés de la guerre froide. En Ukraine, l’exode a débuté pour des millions de personnes. Pour d’autres, c’est une entreprise de resistance à l’envahisseur, des destructions, des morts, dans un conflit dont on n’a aucune idée de l’issue.

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