World War Z

julien breitfeld
7 min readSep 11, 2022
Willem — Le Canard Enchainé (non daté) — Capture d’écran d’une vidéo où un mercenaire russe du nom de Igor Mangushev exhibe le crâne d’un soldat ukrainien d’Azov comme un trophée — (Jerusalem Post, 29 août 2022) https://www.jpost.com/international/article-715825

J’ai tenu 100 chroniques. 100 jours où j’ai rajouté à ma mémoire extime qu’est facebook une sélection de liens d’une veille quotidienne autre que mes marottes, les infra, la Chine, la mobilité ou la « disruption numérique ». C’est que le 24 février 2022, à 4 heures du matin, la Fédération de Russie envahissait son voisin l’Ukraine.

Au XXIᵉ siècle, depuis mon petit confort bourgeois français, après des décennies à avoir appris que « plus jamais », que « la guerre c’est mal », j’assistais à l’invasion d’un État souverain d’Europe continentale par un autre, dont la gloire passée lui assure le totem d’immunité à l’ONU. Avec la pirouette sémantique du foutage de gueule poutinien : pas une invasion, une « opération militaire spéciale ».

Passé deux jours de sidération, où j’ai compulsivement écrémé l’information en provenance du monde entier depuis ma tour de contrôle parisienne du monde, j’ai commencé à archiver des sources, des papiers, des gens, des opinions sur mon wiki et les poster sur facebook. J’ai documenté, parce que le sketch des Nuls sur Adolf Hitler est la meilleure illustration du devoir de mémoire.

Les Nuls — Camescope Natachi

Après la COVID, il ne pouvait plus rien nous arriver d’affreux. Un autre virus ? Les milliards déversés en deux ans ont révolutionné nos capacités à traiter les pandémies, tant en R&D qu’en production et organisation. Une crise économique ? Idem, COVID nous a montré qu’on pouvait subir l’un des pires cracks boursiers au monde, le 20 mars 2020, sans que personne panique. Le réchauffement climatique ? C’est acté depuis les Accords de Paris de 2015.

On prévoit tout, on analyse tout, on catégorise tout, c’est pour ça que nous sommes en haut de la chaine alimentaire. Même si tout semble parfois chaotique, nous sommes des gens rationnels et pragmatiques, et nous apprenons de 50.000 ans de développement. Et même si des bruits de bottes se faisaient entendre depuis plusieurs mois, l’idée qu’un pays de 44 millions d’habitants allait être annexé par son voisin de 146 millions, en 2022, sur le continent européen, m’était totalement invraisemblable. Et surtout une infamie.

Quand une carte en chasse une autre

Pourtant, même Covid nous a montré qu’on oubliait la santé publique aussi vite qu’on l’apprenait. Alors la guerre….

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, ça n’avait court que dans de mauvais scénarios de séries Z. Pourtant, tout était écrit depuis des années. L’invasion était quasi décrite dans l’ultimatum russe à l’Occident du 17 décembre 2021 qui exigeait : « l’arrêt de la coopération militaire avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines de l’Europe et le retrait des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997 ». Ultimatum assorti de la menace des petites frappes : « « Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive » (l’ancien vice-ministre de la Défense Andrei Kartapolov, cité par Vzglyad.ru, le 27/12). Le 17 décembre 2021, en pleine paix, la Fédération de Russie déclarait donc — préventivement- la guerre à l’Union Européenne, à ses pays membres, à l’OTAN et aux États-Unis, au travers d’une mise en demeure niant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, au profit de son droit propre.

Et le 24 février 2022, après des mois à avoir amassé des troupes à la frontière avec l’Ukraine (dès le 30 octobre, près de 90.000, washingtonPost), la Fédération de Russie entamait une « opération spéciale » visant à la reconstruction de l’Empire soviétique. Parce que c’est de cela qu’il est question, et de rien d’autre.

J’ai tenu 100 jours et c’est dur. Une fois qu’on a accès aux canaux traditionnels des gatekeepers, ceux qui hiérarchisent et éditorialisent l’information, on cherche ailleurs, et cet ailleurs est bien plus intéressant, foisonnant, rapide, que ne le sont les papiers des journaux qui reprennent, dans le monde entier, les dépêches de l’AFP, AP ou de Reuters (ces deux dernières agences pratiquant également le B2C). Technologie aidant, et sans même ma petite volonté de documenter, à mon petit niveau, l’invasion russe de l’Ukraine est le théâtre de guerre le plus documenté de l’Histoire, infrastructure oblige. Et passé Twitter, qui régnait jusque-là sur l'instantanéité, on plonge dans ce double inconnu d’une langue totalement étrangère et du canal “sans filtre” qu’est Telegram, qui montre une réalité dure et froide, on explore la richesse de Discord et Reddit, véritables index des internets, on passe des heures sur les videos de douyin/tiktok, qui diffusent les points de vue. On jongle alors avec les outils de traduction en ligne (dont paradoxalement le très bon yandex) pour comprendre, mais l’essentiel se voit avec les yeux et les caméras des smartphones. On a beau avoir vu toutes les images les plus horribles, issues du réel ou des CGI, la guerre en direct, sa violence et ses crimes, même derrière des écrans, ça use.

J’ai donc tenu 100 jours à être immergé durant parfois 6h par jour dans ce “conflit”, et j’ai décidé de revenir en arrière, tout en gardant l’actualité à l’esprit, pour comprendre le pourquoi, le comment, et surtout l’après. La population française n’a pas fait beaucoup de cas de ce pays aux confins de l’Est de l’Europe; déjà que l’Europe… Mon pays se regarde depuis trop longtemps le nombril, via ses élites et ses gatekeepers, pour voir que le monde change, qu’il ne nous attend pas, et que, si le cœur de l’UE a longtemps été l’axe franco-allemand, c’en est terminé, et c’est heureux.

Il m’aura donc fallu 100 jours de plus pour digérer cette flétrissure, en tenant compte de la poursuite des événements, et surtout, en devant distinguer le vrai du faux de ce qu’on appelle le brouillard de guerre. Car l’analyse des systèmes complexes est simple, lorsque les éléments sont figés, et corrects. Il en va tout autrement lorsque la vérité est altérée, et mouvante. Dans la réédition de son “Essai historique”, en 1825, Chateaubriand déplorera que les événements courent plus vite que sa plume. Pendant la rédaction de l’ouvrage, “il survenait une révolution qui mettait toutes [s]es comparaisons en défaut” (cité in l’accélération de l’histoire, thread). Je suis loin d’avoir sa plume, mais cette “guerre”, qui était censée être gagnée par la Fédération russe en une semaine, dure depuis plus de 6 mois. En cause, “l’empire du mensonge” qui caractérise la Russie, depuis au moins la mainmise communiste sur le pays, il y a un siècle. Le sujet des fake news est tout sauf récent, quand un dogme décide d’inventer sa propre Vérité, et de la propager ubi et orbi (la Pravda fut créée en 1912). Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a déclaré : ‘Le monde russe est un cancer qui non seulement dévore la majeure partie de la société russe, mais constitue également une menace mortelle pour toute l’Europe” (The Telegraph, 13 mai 2022). Rien n’est plus vrai; le cancer, c’est d’abord une altération de la communication d’une cellule avec son écosystème, un mensonge.

Six mois de guerre, parce que la Fédération de Russie est pourrie de l’intérieur, qu’elle est le pays Potemkine hérité de Catherine 2, et que sa puissance est une gigantesque mascarade, où seuls des parrains ayant mis le pays en coupe réglée disposent de ressources. 6 mois de guerre contre l’Ukraine, mais 20 ans contre sa propre population.

Cette “guerre” n’a que 200 cents jours, elle ne concerne que 2 pays, et l’Ukraine, c’est loin. Pourtant, le froid, la tension sur les marchés énergétiques et alimentaires mondiaux, la rentrée dite “sociale”, c’est demain, mais c’est déjà écrit aujourd’hui, sur un scénario d’hier. Nous sommes en guerre, nous sommes en septembre 1938, et le conflit nous concerne tous, car c’est, comme souvent, une lutte pour la Vérité.

[TDM, WIP]

  1. En pleine paix, une bourre pif

2. Le Monde d’avant, le monde d’après

  • L’Ukraine, une histoire et un futur de l’Europe
  • Zelenskyy superstar
  • Le parrain Poutine
  • Démocraties VS dictatures, consensus scientifiques VS dogmes

3. La guerre en direct

  • La propagande : de la fabrique de la Vérité
  • Vladimir seul contre tous : Telegram, Twitter, Tiktok, Reddit, et les autres
  • Tout le monde a un smartphone
  • OSINT et trolls

4. Billards à 3 bandes

  • La Turquie
  • L’éveil de la MittelEuropa
  • Où l’on voit vraiment la carbonation du Monde

5. Réorganisation de la structure

  • L’avènement de l’Europe puissance
  • L’ONU, ce machin
  • L’Internationale fasciste et les petits télégraphistes du Kremlin
  • Russie : Nord coréanisation ou Glasnost 2.0 ?

6. Conclusion ?

NB : un grand merci à tous ceux qui m’ont enseveli sous les liens ou qui ont enrichi la réflexion ; merci à Marie-Catherine, Etienne, Louis, Bertier, Benoit, Guy-Philippe, Christophe, Phil (“Heroiam slava!”). Merci au POB Club (Cédric, Fred, Jérome, Pierre) pour les angles et les références historiques.

NB2 : un immense merci à deux entreprises, l’américaine Google et l’allemande DeepL, qui m’ont permis de sortir de ma bulle de langage. Grâce à eux, et alors que je ne connais que le français et l’anglais, j’ai pu lire de l’ukrainien, du russe, du finnois, du turc, de l’italien, du polonais, de l’estonien, du bulgare, du norvégien…

A l’heure où on se regorge de souveraineté européenne, il serait plus qu’intéressant que les institutions fournissent gratuitement ce genre d’API aux peuples d’Europe. Parce que cet outil existe, mais il est réservé à la Commission européenne, pour sa propre communication. Alors que la langue est le principal prétexte pour cette invasion, la communication, ou mieux, la compréhension, sont des valeurs essentielles dans la construction démocratique.

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